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P.E. / Avec le confinement de juin et la généralisation du télétravail, certains départements, plus ou moins ruraux, ont gagné plusieurs milliers de nouveaux habitants en quelques jours. Pensez-vous que les villes dites moyennes ont une carte à jouer ? Est-ce la fin de l exode rural ? C.M. / Je ne pense pas que nous allons assister à un « exode » des métropolitains vers la ruralité. Le siècle des villes est aussi celui où la création de valeur urbaine est devenue incontournable. Par contre, je pense, et je le dis aussi, que les villes moyennes sont un atout majeur car elles permettent d éviter le surpeuplement métropolitain offrant des conditions de vie agréables. Je pense que les armatures territoriales régionales passent par des réseaux des villes moyennes qui soient attractives et offrent une manière de vivre plus apaisée. Il y a une place dans notre pays pour que « l alliance des territoires » soit une démarche commune entre métropoles, villes moyennes et ruralité, cherchant la complémentarité indispensable sans les opposer.
P.E. / Remarquons-nous les mêmes phénomènes sociologiques chez nos voisins européens ? C.M. / Oui, l ensemble de l Europe est aujourd hui secoué par cette double crise évoquée, climatique et sanitaire. Les questionnements sur nos modes de vie sont structurels et nous touchent tous, malgré nos différences culturelles. Je suis très impressionné de voir comment le débat sur la ville du ¼ d heure a très vite dépassé les frontières françaises pour s installer non seulement en Europe mais dans le monde entier. Le réseau mondial des Villes pour le climat, le C40, l a adopté et une initiative mondiale va être lancée en décembre. Les villes européennes sont pleinement mobilisées pour lutter pour le climat et la pandémie et nous savons que leur action est déterminante pour aller vers d autres horizons plus sereins. La réinvention de la proximité est l une des clés communes pour la lecture d un meilleur avenir.
P.E. / Cette année 2020 marque-t-elle selon vous le début d un « monde d après » comme on l a beaucoup entendu depuis juin ? C.M. / Le « monde d après » compris comme celui de la fin de la pandémie de la COVID-19, nous laisse penser que beaucoup de choses seraient remises en cause, à ce moment. Je préfère dire haut et fort que le monde de « maintenant » déjà ne tourne pas bien. Cinq ans après la COP21 et les accords de Paris, on continue toujours à accepter l inacceptable ! Nos émissions de CO2, notre manière de vivre, qui nous mettent en danger par rapport au climat et la nature. Mais aussi l approfondissement des inégalités, le creusement de l exclusion sociale et leurs corollaires en termes de populisme, démagogie, peur de l autre et extrémismes continuent à prospérer. L année 2020 est marquée par le paroxysme dans la montée de la crise et nul ne sait encore quand nous allons en sortir. Je continue à penser qu il est essentiel que nous soyons mobilisés pour que l ici et le maintenant change.
P.E. / Vous évoquez dans votre ouvrage 6 fonctions sociales urbaines essentielles, « habiter, travailler, s approvisionner, se soigner, s éduquer, s épanouir ». La ville du quart d heure n est-elle pas au fond aujourd hui une ville de « personnes qui ont les moyens » ? C.M. / Je veux faire prendre conscience que nous vivons depuis longtemps dans des villes inégalitaires, fragmentées, segmentées au niveau de l espace mais aussi de la vie économique et sociale. Notre travail de recherche nous a permis d identifier 6 fonctions urbaines essentielles pour que chacun, chacune, puisse avoir une vie équilibrée dans une ville apaisée. Nous voulons aménager autrement la vie urbaine. Pendant longtemps nous avons aménagé la ville avec ses infrastructures pour aller plus vite et plus loin. Il est temps de rééquilibrer la vie urbaine, non pas par l argent mais par la disponibilité des services accessibles à un maximum de personnes. Je dis dans mon livre que la qualité de vie dans la ville va de pair avec ces 6 fonctions sociales et une gestion de commun urbains qui sont les garants d une régulation afin de permettre que la ville du ¼ d heure soit une ville pour tous. Les « communs » sont un élément essentiel pour donner le droit à la vie de la ville avec une large offre de services créatrices de valeurs d usage, économique et sociale pour le plus grand nombre.
Paroles d Élus / Les nouvelles aspirations visibles en juin lors du déconfinement valident- elles votre idée de la ville du Quart d heure ? Carolos Moreno / La situation actuelle a mis un exergue l importance de changer de mode de vie à l aune de la double crise profonde que nous vivons : climatique et sanitaire. Une ville durable, qui réduit radicalement ses émissions de CO2 est indispensable et on voit l importance vitale, et le reste à faire, quand nous allons commémorer les 5 ans de la signature des Accords de Paris. Une ville saine, est aussi une priorité pour continuer à vivre malgré les contraintes de sociabilité qui amène la présence de la COVID-19 dans nos vies. La ville du ¼ d heure, proposée avant la pandémie, est venue confirmer sa pertinence comme réponse stratégique à ces deux crises en proposant une approche par rapport à nos modes de vie. L accessibilité à la vie de proximité, ses commerces, équipements, lien social, mobilité à pied ou en vélo, revitalisation des quartiers, utiliser plus et mieux les infrastructures déjà existantes, développer une ville polycentrique, maillée, multi-servicielle, offrir de soins de santé au plus près des chacun, s occuper des plus fragiles, tout cela est la ville du ¼ d heure et elle est plébiscitée dans le monde entier car c est une réponse concrète, ici et maintenant, à cette situation de crise écologique, sanitaire mais aussi économique et sociale.
Rencontre avec Carlos Moreno
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P.E. / L histoire et les mutations d une ville s écrivent sur un temps long. Dès lors, pourquoi avoir voulu mettre en perspective « vie urbaine et proximité » à l heure de la Covid-19 alors même que cette période, celle de la crise sanitaire, n est pas encore stabilisée ? C.M. / La vie urbaine occupe l essentiel de l espace et temps des humains aujourd hui. Mais les urbains qui sont majoritaires dans le monde, sont confrontés en réalité à des crises à répétition. Celle que nous vivons aujourd hui, sanitaire, est exceptionnelle par sa dimension planétaire en simultanée. Mais elle l est aussi car pour la première fois de l histoire moderne pour la juguler, il faut mettre « sous cloche » la vie urbaine. La vie dans les villes s estompe et toute notre puissance économique s écroule. Mais rien ne dit que cette situation sanitaire, une zoonose, donc une maladie transmise de l animal à l homme, ne se répètera pas sous une autre forme par le futur. C est aussi l une des conséquences de notre manière de détruire la biodiversité. D où le besoin de penser la ville autrement maintenant et d agir pour un changement de notre mode de vie, de produire, de consommer, de nous déplacer. C est un changement en profondeur qui sera long à venir et nous n avons pas de temps à perdre. Nous sommes des penseurs de la ville et du changement mais nous inspirons aussi des actions concrètes pour agir dès maintenant, avant qu il ne soit pas trop tard.
« Droit de cité, de la ville-monde à la ville du quart d heure »
Carlos Moreno, 192 pages, 18 , Éditions de l Observatoire