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Le regard des Elus
Paroles d Élus / Quel regard portez-vous sur le plan « Ma Santé 2022 » ? Paul Mumbach / Nous espérons qu il apportera des réponses concrètes. Je n ai que trop le souvenir d annonces et de plans qui sont sortis sans rien donner. C était le cas récemment pour développer la télémédecine. Le problème, c est qu ils ne sont pas mis en application.
PE / En tant qu élu local, quelles sont aujourd hui pour vous les limites de notre système de santé ? PM / Dans les quatre prochaines années, un tiers des médecins partira à la retraite. Malheureusement, aucune solution ne pourra être apportée tant que nous resterons face à la lourdeur administrative de l organisation de l Etat. J ai en tête différents exemples de réunions, où des signaux d alarme ont été tirés par l agence régionale de santé (ARS) elle-même. Et ce, depuis 4 ans déjà, sans que cela ne débouche sur rien. La santé est certes faite de maladies chroniques mais aussi d urgences. La seule réponse actuelle est purement financière. Le rural est livré à lui-même. Il n y a aucune réflexion géographique.
PE / Pourtant, les communes rurales ne sont pas timides pour expérimenter et tester des alternatives, à l instar d Oberbruck PM / Oberbruck n aurait pas été possible « sans bousculer » l ARS. La télémédecine restera une illusion tant qu elle sera perçue uniquement comme une réponse robotique. La santé doit rester une question humaine. Même si le généraliste n est pas, par définition sur site, Il faut en effet du personnel de santé pour accueillir les malades. Nous avons réussi à obtenir des conventions de deux ans avec l ARS. Cela a permis de financer la partie infirmier et une partie de l aspect médical (NDLR : la téléconsultation n était alors pas remboursée). Aujourd hui, malgré les retours extrêmement positifs d Oberbruck, il n y a pas eu d effet multiplicateur derrière. Concrètement, cela fait maintenant plusieurs mois qu une autorisation a été demandée pour instaurer une offre de téléconsultation dans une ville de 7000 habitants sans médecin. L ARS ne répond tout simplement pas.
Parles d Élus / Vous avez organisé avec Villes de France un colloque dédié à la désertification médicale. Quelles sont pour vous les causes de ce phénomène ?
Xavier Nicolas / On constate que le système de santé, qui nous était envié, est en train de s écrouler complètement. Aujourd hui, la première préoccupation de nos concitoyens, c est l accès aux services de santé. Malheureusement, les difficultés s aggravent un peu plus chaque année. Lorsqu un médecin part à la retraite, il faudrait en former en moyenne 1,8 pour le remplacer.
Il y a eu également le fameux dispositif Mécanisme d Incitation à la Cessation d Activité (MICA) qui a incité les médecins libéraux dès 1988 à prendre leur retraite dès 56 ans avec, à la clé, une prime annuelle de 260 000 F. 9000 médecins sont partis à la retraite à taux plein dès 57 ans alors même qu ils auraient pu exercer encore dix ans de plus.
Par ailleurs, il y a un problème de rémunération et de fiscalité. D un côté, à 25 la consultation et avec en moyenne une centaine de patients par semaine, versus les charges, la rémunération n est pas motivante. Les pousse-t-on à travailler plus ? Bien au contraire, les médecins n ont aucun intérêt à voir plus de patients, une fois le seuil des 6000 euros par mois franchi. En effet, les impôts prélèvent alors 41% du montant. Ajouté aux charges, cela représente environ 80% de prélèvement du revenu supplémentaire.
Dernier point, l évolution de l accès aux soins en dehors des horaires normaux de travail. Il y a 30 ans, tous les médecins étaient de garde en permanence. Aujourd hui, elles sont facultatives et tout le monde va aux urgences qui sont saturées.
PE / Quelle serait pour vous la solution ? Le numérique est-il pour vous une réponse possible à la désertification médicale ?
XN / L e-santé est une réponse possible. Il serait curieux d ailleurs qu elle ne gagne pas, à court terme, une place importante dans l évolution des pratiques professionnelles de la médecine. Néanmoins, il faut garder à l esprit que la relation humaine avec le patient est importante. L e-santé doit être vue comme un appui permettant de mobiliser d autres professionnels de la santé comme par exemple les pharmaciens. Le système de garde existe toujours pour eux et ils ont un niveau de formation dans la plupart des cas suffisant. Il faut permettre aux pharmaciens d intervenir seul ou en ayant recours à la téléconsultation en cas de doute. Les téléconsultations peuvent être également extrêmement judicieuses dans les EHPAD. Aujourd hui, faute de médecins suffisamment présents, les déplacements à l hôpital sont très nombreux avec la conséquence d occuper 2 lits, ce qui représente un coût gigantesque pour la Sécurité sociale.
Lorsqu un médecin part à la retraite, il faudrait en former en moyenne 1,8 pour le remplacer.
Xavier Nicolas, Maire de Senonches dans le département d Eure-et-Loir et référent de l association sur les questions de santé
L Association des Petites Villes de France fédère depuis 1990
les collectivités de 2500 à 25 000 habitants pour promouvoir
leur rôle spécifique dans l aménagement du territoire.
Elle compte aujourd hui près de 1200 adhérents, présents dans
tous les départements de France métropolitaine et d outre-mer.
Avec ses 400 habitants, Oberbruck a réussi
à trouver une réponse concrète face à la désertification
de son territoire en mettant en place un système de téléconsultation innovant, malin et peu coûteux.
Près de 3 ans plus tard, 550 consultations ont ainsi
pu être effectuées.
Paul Mumbach, Maire de Dannemarie,
Président de l AMRF dans le Haut-Rhin et référent de l association sur les questions de santé
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Decryptage
Oberbruck, village pionnier de la téléconsultation
En 2015, lors du départ à la retraite de leur médecin généraliste, présent sur la commune depuis les années 80, les habitants d Oberbruck se sentaient bien seuls. Malgré des recherches intensives pour lui trouver un successeur et la vitalité de ce petit village qui comporte encore plusieurs commerces dans son bourg, les candidats ne se sont pas pressés.
Suite à un appel à projets, l association a obtenu le financement de trois chariots de télémédecine. L un de ces derniers, d une valeur d environ 30 000 , a été mis gratuitement à la disposition d Oberbruck. De son côté, la commune a rénové un bâtiment afin de pouvoir accueillir les patients. Coût de l opération ? 45 000 .
A l intérieur, c est un infirmier, employé par l Association de Soins et d Aides Mulhouse et Environs (ASAME), qui accueille les patients. Sur place, pas de praticien mais une machine dotée d un écran, d un micro, d un haut-parleur et de tous les instruments nécessaires pour effectuer les constantes. Celles-ci sont transmises quasi instantanément et de manière sécurisée à un médecin généraliste situé parfois à plusieurs dizaines de kilomètres. L infirmier accompagne le patient pendant toute la consultation. Lorsque le patient est installé, il contacte l un des médecins du réseau, également salarié de l ASAME, de permanence. Comme dans une consultation normale, généraliste et patient peuvent converser. Lorsque le diagnostic est établi, le médecin rédige son ordonnance, imprimée directement au centre de téléconsultation par l infirmier. Chaque consultation est à un tarif de 23 euros. D autres expérimentations devraient bientôt être menées sont en cours d étude dans le Sundgau au Sud de la région Alsace et à Huningue.