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    Environnement & gestion des ressources

    [Requalification des friches] Questions à… Christophe Bouillon, Maire de Barentin

    L’entreprise Badin est intimement liée à Barentin. Elle représente en effet plus d’un siècle et demi de l’histoire industrielle de la vallée de l’Austreberthe. Non épargné par le déclin progressif du secteur, ce lieu s’est retrouvé, comme tant d’autres sites en France, à l’abandon au début des années 2000. Près d’un quart de siècle plus tard, c’est une véritable métamorphose qui est sur le point de s’opérer. Pour en savoir plus sur ce projet de requalification de friche hors-norme, nous avons pu poser quelques questions à Christophe Bouillon, Maire de Barentin, Président de l’Apvf et Président de l’ANCT.

    Paroles d’élus : Que représente cette ancienne usine de Badin pour les habitants ?

    Christophe Bouillon : Dans un passé pas si lointain que cela, on entendait souvent dire que : «Barentin c’est Badin et Badin c’est Barentin» .  Ce n’est pas pour rien. Cette entreprise, reconnue mondialement pour le textile qu’elle produisait à Barentin, possédait en effet près de 17ha de bâtiments, en contre-bas du centre-ville. C’est donc une page importante de notre patrimoine. Elle fait partie de l’Histoire de la ville et plus largement de celle de cette vallée industrielle car on l’oublie mais la Normandie a été pendant longtemps une Région importante dans ce domaine grâce notamment à la culture sur place du Lin. À l’image d’autres régions en France, cette folle épopée a commencé à péricliter dans les années 70/80. En 2008, l’activité a complétement cessé. La ville a acheté le site en 2014 et a procèdé à l’époque à une opération de déconstruction. La plupart des bâtiments sont alors rasés, à l’exception de deux d’entre eux ainsi que la cheminée.

    Pde : À quand remonte l’idée de requalification et quelle a été votre démarche ?

    CB : En 2020, nous avons l’intuition au sein de notre équipe de la nécessité d’engager une démarche de réappropriation de ce lieu en partant à la fois d’un principe de renaturation mais aussi d’une requalification des bâtiments existants afin d’éviter d’aller chercher du foncier autour de la ville comme cela a été le cas pendant des années.

    Pde : Pouvez-vous nous décrire à quoi ressemble aujourd’hui ce lieu ?

    CB : Le site est traversé par une rivière. Grâce à une opération de renaturation, elle a rejoint son lit naturel. Elle avait en effet été détournée et canalisée pour devenir force motrice pour l’usine. Historiquement, on trouvait aussi sur ce lieu un arboretum que l’on doit à Auguste Badin, le fondateur de l’entreprise. Il était collectionneur d’arbres. On y trouve des séquoias plus que centenaires ainsi que nombre d’espèces et d’éléments consolidant l’idée d’y créer un parc urbain. Il nous paraissait important de partir de ces atouts ; présence de zones humides, arboretum, rivière et espaces libérés… afin de penser collectivement un beau projet de parc tout en utilisant les bâtiments restants pour apporter de nouveaux équipements et de nouveaux usages.

    Pde : Quels sont les points de difficultés rencontrés sur un tel projet ?

    CB : Si les nombreuses friches présentes en France sont un élément de réponse à l’application de la loi ZAN, la requalification d’une friche est par nature compliquée car très souvent, il s’agit de « vestiges » industriels. Or, qui dit « industrie », dit aussi automatiquement ou presque « pollution ». À titre d’exemple, dans une ancienne usine textile comme la nôtre, on trouve des traces d’hydrocarbures et parfois même des colorants.

    Une autre difficulté vient de la situation géographique, en proximité immédiate de cette rivière mais aussi plus globalement dans une vallée qui a connu des événements d’inondations assez importants et qui est doncaujourd’hui soumise à un Plan de Prévention des risques inondations assez contraignant.

    Pde : Que trouvera-t-on concrètement d’ici quelques mois dans le premier bâtiment ? 

    CB : Chaque bâtiment a des caractéristiques architecturales très différentes et que nous voulons conserver autant que possible. Dans le premier bâtiment, une halle de 1400 m2 d’inspiration de type Eiffel, on trouve par exemple des verrières et l’utilisation de briques rouges caractéristiques de cette époque. Ce lieu va accueillir un cinéma de 4 salles ainsi qu’un un musée numérique. Pour concevoir ce dernier, nous travaillons avec la Réunion des Musées Nationaux Grand Palais qui développe en ce moment pour plusieurs villes un projet innovant baptisé Muse.

    Pde : Et dans le second ? 

    CB : Le second bâtiment a quant à lui une forme cubique d’inspiration anglaise de type victorienne. Il se compose de trois plateaux de 1000 mètres carrés. Nous avons réalisé grâce à l’appui de la la Banque des Territoires un gros travail de benchmark. À l’instar du Musée Haribo à Uzès qui accueille 300 000 visiteurs par an, nous réfléchissons avec le groupe Ferrero, déjà implanté dans la commune voisine de Villers-Ecalles, à un espace de présentation et de dégustation. Plus largement, ce lieu permettra de mettre en avant l’industrie locale et son histoire, en racontant par exemple l’épopée de Giuseppe Ferrero et d’Auguste Badin. Dans un second temps, d’autres équipements s’ajouteront. Nous aménagerons par exemple un fablab et un restaurant.

    Pde : Malgré les contraintes techniques d’un tel projet, la population a-t-elle eu son mot à dire dans la réhabilitation du site ?  

    CB :  Oui et cela nous paraissait même essentiel que les habitants puissent le faire le plus vite et pas seulement en fin de processus. Aussi, avons-nous procédé de la façon suivante : Après avoir fait vérifier la pertinence de nos intuitions, nous avons lancé une démarche participative en partant quasiment d’une feuille blanche mis à part ces idées.  Ainsi, pendant presqu’un an, un travail d’échange avec la population s’est tenu et s’est conclu par un référendum d’initiative local. Les habitants ont eu à trancher entre les deux schémas paysager construit avec eux sur plusieurs mois. Le premier qui s’appelait « l’écrin » répondait comme son nom l’indique à l’idée d’un « cocon de verdure ». Le second, dénommé « la couture » répondait davantage à l’idée de connexion avec l’environnement immédiat et les quartiers des alentours. Au terme de ce vote, le projet « l’écrin » a été plébiscité.

    Pde : Quels ont été les étapes suivantes ?

    CB :  À partir de ce choix, nous avons lancé une programmation permettant de lancer un concours d’architecte paysager. Celui-ci a été attribué fin 2022 au cabinet de Laure Planchais dont le projet nous a vraiment séduit et s’inscrit dans un besoin de frugalité. Le projet s’affine encore avec des ajouts comme par exemple avec une reconstitution d’une filière d’osier. L’idée centrale est là encore de préserver le maximum de traces de ce passée industriel. Nous donnons rendez-vous à la population début avril sur site pour découvrir les propositions de l’architecte et pour se laisser encore une petite marge de manœuvre. L’objectif est de commencer les travaux en fin d’année.

    S’agissant des deux bâtiments, une AMO a été désigné afin de nous accompagner face à la complexité de ce projet. Nous allons être accompagné par l’EPFN qui va nous acheter les bâtiments. L’Établissement va procéder aux travaux et bénéficiera des subventions pour effectuer ces travaux. Puis, la ville redeviendra propriétaire. S’agissant du cinéma, nous avons opté pour une délégation de service public. Le musée sera géré par la ville et pour le bâtiment dédié à Ferrero enfin, la ville restera propriétaire et il y a aura une location.

    Paroles d’élus : Ce projet peut-il être un exemple pour d’autres collectivités à l’heure où l’application concrète de la loi ZAN interroge un grand nombre d’élus ?

    CB:  C’est clairement en tout cas un point de rencontre entre différents objectifs de notre époque, à savoir ; renaturer des espaces qui ont été artificialisés, et réinvestir des bâtiments afin d’éviterd’aller chercher du foncier ailleurs. Donc oui, ce projet rentre pleinement dans l’ambition de Zéro Artificialisation Net. Notre conviction à l’APVF, c’est que si l’on veut réussir le ZAN, il faut refaire la ville sur la ville et donc, s’attaquer aux friches quand il y en a. Pour y arriver, les collectivités ont besoin d’être accompagnées. À Barentin, nous bénéficions par exemple d’un Fonds dédié à la requalification des friches et de l’engagement de l’EPFN. C’est un exercice compliqué mais en même temps, je pense que la ZAN va accélérer le traitement de ces espaces abandonnés.