[Ecole Numérique] La Cour des Comptes corrige la copie
Inscrit par la Cour des Comptes dans son programme de travail de l’an dernier, l’examen de la mise en place du « service public du numérique éducatif », instauré en 2013 par la loi de refondation de l’école de la République, a donné suite à un rapport publié durant l’été.
La Cour des Comptes s’intéresse aussi à ces questions…
Ce n’était pas la première fois que la Cour des Comptes s’intéresse à un sujet touchant l’équipement numérique. Ainsi, de précédents travaux avaient porté sur le plan « Informatique pour tous » lancé en 1985. Plus récemment, en 2017, la Cour avait dressé un premier bilan du déploiement du haut et du très haut débit.
Le numérique à l’école, axe à part entière de la politique éducative ?
Dans ce rapport, le moins que l’on puisse dire est que la Cour des Comptes n’y va pas avec le dos de la cuillère. Si l’institution reconnait que « faire entrer le numérique à l’école est devenu un axe à part entière de la politique éducative » et que pour ce faire, un nouveau service public a été créé « de façon originale et singulière (NDLR : le service public du numérique éducatif) », les résultats sont insuffisants.
L’enquête devait permettre en effet « d’apprécier, cinq ans après la loi de 2013, la manière dont ce service public a été déployé au sein du dispositif scolaire et d’examiner s’il a, à tout le moins, créé les conditions de son évolution profonde, sinon de sa transformation ». Or, pour la Cour des Comptes, « la transformation pédagogique n’a pas été au cœur de la conduite de cette nouvelle politique, l’évaluation des pratiques des enseignants et des effets sur les résultats des élèves est restreinte et tardive, dans un contexte de grande disparité du déploiement des moyens et des usages numériques ».
« Un effort financier significatif »
L’enquête souligne pourtant « un effort financier significatif depuis le vote de la loi de 2013 ». En effet, les investissements publics en faveur du numérique éducatif ont beaucoup progressé « sous l’action conjuguée des trois niveaux de collectivités, pour 2 Md€ de 2013 à 2017, et de l’État, pour 300 M€ sur la même période, alors que son engagement initial était annoncé à hauteur d’1 Md€ ».
Ainsi, la dépense numérique des départements pour les collèges a augmenté de 53 % en cinq ans, atteignant un montant cumulé de 860 M€. Du côté des communes et des écoles rurales, le montant cumulé est de 383 M€ soit une progression très forte des dépenses de 135 %. Les régions, quant-à-elles, « impliquées depuis plus longtemps dans l’équipement numérique des lycées, ont porté un effort cumulé important de 848 M€, représentant une progression plus modérée de 21 % sur cette période ». Résultat, la dépense moyenne constatée des collectivités par élève s’accroît avec le niveau de scolarisation. Elle s’établissait « en 2017 à 34,5 € pour un écolier de l’école élémentaire, à 77 € pour un collégien, et à 82 € pour un lycéen ».
« Un service public sans objectifs clairs »
La Cour des Comptes ne passe pas par quatre chemins, « pour être à la hauteur de ce choix politique ambitieux, l’État aurait dû élaborer une stratégie fondée sur une analyse rigoureuse de l’existant et des besoins à pourvoir, dans une logique d’harmonisation des équipements, services et offres numériques pour les élèves selon les strates d’enseignement ».
La Cour relève notamment plusieurs conditions aujourd’hui non-remplies pour assurer le déploiement d’un service public du numérique éducatif de qualité. Il s’agit notamment d’une « connexion des écoles et des établissements (…) encore insuffisante et dans bien des cas inexistante ; ou encore « de fortes inégalités d’équipement des classes et des élèves (…) entre les territoires ».
Une « politique dépassée et inutilement coûteuse »
Concrètement, la Cour des Comptes trouve regrettable que la priorité ait été donnée « contre la vocation et la logique même de ce programme, au financement d’équipements mobiles individuels (…) transformant cette action en « plan tablettes » et affectant ces moyens à des dépenses courantes. Cette priorité donnée à l’équipement individuel des élèves s’est vite avérée une politique dépassée et inutilement coûteuse ».
« Une co-construction entre l’État et les collectivités territoriales toujours en défaut »
Par ailleurs, et malgré « l’engagement incontestable des recteurs et de leurs services chargés du numérique éducatif », la Cour observe une fragmentation des politiques publiques : « les initiatives des collectivités locales continuent d’inscrire le développement du numérique dans le paysage scolaire sans cadre national d’ensemble » et cela en dépit du taux d’équipement des jeunes, qui rend « contestable la distribution systématique de ces équipements individuels sur fonds publics, et alors que le ministère a interrompu le plan tablettes, sans toutefois l’annoncer clairement ». Aussi, conviendrait-il d’établir au plus vite « un cadre qui permette aux collectivités territoriales d’exercer leurs arbitrages politiques en pleine connaissance de cause, les objectifs d’équipement et de services de l’éducation nationale ayant été explicités ».
Concrètement, six ans après le vote de la loi, « Les enseignants, comme les collectivités, ont (encore) besoin d’un message clair du ministère quant à la place du numérique dans la pédagogie qu’ils mettent en œuvre ».
« Beaucoup d’enseignants ne sont pas suffisamment préparés pour intégrer (le numérique) dans leur pédagogie »
Autre critique, l’État, qui a pourtant réformé la formation initiale des enseignants, ne semble pas pour l’Institution « avoir pris la mesure du renouvellement des compétences pour réussir la transition numérique » et de noter notamment le besoin de rétablir « la certification des compétences numériques, d’accentuer l’encouragement des enseignants déjà en poste à valider les compétences acquises en cours de carrière, ainsi que « la mise en place d’un plan de formation continue obligatoire ».
Que recommande la Cour des Comptes ?
La Cour ne reste pas sans recommandation, bien au contraire. Ainsi, elle estime nécessaire de doter les trois strates d’établissements scolaires d’un socle numérique de base, « combinant des infrastructures et des équipements mis en place par la collectivité responsable avec un engagement de l’État sur la formation des enseignants et la mise à disposition de ressources éducatives ».
Fruit de la concertation, ce socle permettrait d’homogénéiser les établissements de chaque cycle sur tout le territoire. De plus, son financement « doit s’opérer par redéploiement, qu’il s’agisse des collectivités (pour lesquelles l’aide à l’équipement individuel des élèves doit céder le pas à l’effort sur les réseaux) ou de l’État qui peut ajuster en faveur du numérique ses plans de formation et mobiliser les crédits du PIA 3 en appui aux investissements dans les infrastructures et les réseaux et en faveur de l’innovation pédagogique ».
Retrouvez le rapport de la Cour des Comptes en cliquant ici.