[développement durable ] À la Motte-Servolex, un abécédaire fruit de 15 ans d’engagements concrets
A l’occasion de la fête de la Nature qui s’est tenue fin mai un peu partout en France, la Motte-Servolex, pionnier dans ce domaine a publié un abécédaire du développement durable. Pour Luc Berthoud, maire depuis mars 2008 de cette commune de 11 800 habitants, cette démarche n’est ni un bilan ni un outil d’autosatisfaction mais plutôt un moyen de mettre en valeur les actions réalisées pour inspirer les autres. Pour en savoir plus, Paroles d’élus a pu lui poser quelques questions.
Paroles d’élus : D’où vous est venue l’idée de publier un abécédaire et à qui s’adresse-t-il ?
Luc Berthoud : C’est bien connu… nul n’est prophète dans son pays. Lors de la rédaction d’une feuille de route sur le développement durable au Conseil Départemental, j’étais frappé que mes collègues mettent en avant des expérimentations faites un peu partout dans le monde. Pourtant, sur des tas de sujets, des initiatives similaires avaient déjà été mises en place à la Motte. Nous n’avions pas besoin d’aller dans d’autres pays ou à 500 km pour nous inspirer.
Lorsque je suis rentré à la Motte Servolex, j’ai tout de suite dit à mes équipes que ce n’était pas possible que des gens qui sont dans notre territoire ne connaissent pas ce qui est fait. C’est d’autant plus frustrant que nous sommes souvent cités au niveau national, comme pionnier dans le domaine.
Notre démarche n’est pas de la fierté mal placée. Il s’agit en effet de faire connaitre ces initiatives et leur impact mais aussi de témoigner sur les obstacles que nous avons eu à franchir pour les voir se concrétiser.
Depuis trois mandats, nous avons assumé une politique des petits pas, sans grand discours ni révolution. Et au bout de 15 ans, je peux dire que cela a porté des fruits. Pour autant il reste encore beaucoup à faire. C’est pourquoi, cet abécédaire endosse aussi un rôle de vision prospective, puisque la feuille de route pour demain s’appuie sur ce que nous avons fait hier.
Paroles d’élus : Dans votre édito, vous citez les nombreuses crises qui nous font face et plusieurs attitudes. L’une d’elles dénonce une croyance aveugle dans le progrès de la technologie. Que voulez-vous dire par là ?
Luc Berthoud : Face à ces enjeux environnementaux, il est facile de trouver de bons prétextes pour ne rien faire. D’un côté, il y a ceux qui pensent que devant un défi aussi grand, ce n’est pas à leur petit niveau qu’ils vont changer les choses. D’un autre côté, il y a ceux qui, à cause d’une croyance béate dans l’évolution technologique, pensent qu’au fond, il n’est pas utile de se remettre en cause. Dit autrement, « ne faisons rien aujourd’hui, la technologie demain va nous apporter toutes les réponses à nos problèmes ». Malheureusement, ces deux positionnements relèvent pour moi de la procrastination.
Bien évidemment, je ne dis pas que la technologie ne va pas nous aider mais j’insiste sur le fait que cela passe aussi par une volonté d’être pro-actif et de ne pas attendre des autres, d’ailleurs ou de technologie qui n’existe pas encore. À la Motte Servolex, nous plaidons par exemple de façon concrète pour le développement de l’hydrogène sur notre territoire. Nous accueillons de très belles sociétés spécialisées dans ce domaine et notre commune met à disposition une station de recharge pour les véhicules à hydrogène…
Paroles d’élus : À la lettre N, nous avez choisi le mot « numérique ». Quelles actions peut-on y retrouver ?
Luc Berthoud : Nous avons voulu illustrer dans ce chapitre que le numérique est un très bel instrument mais aussi qu’il faut être conscient des enjeux environnementaux liés à nos usages. Le numérique apporte des éléments de réponses. Il permet de mesurer, de contrôler et d’optimiser par exemple les flux et les dépenses énergétiques mais il y a aussi un revers à cette médaille. Nos usages du numérique sont particulièrement consommateur en énergie. Nous avons tous des tas de photos sur le cloud et des mails vieux de 4 ou 5 ans dont on a oublié l’existence; nous privilégions aujourd’hui la SVOD, très consommatrice également… les exemples sont très nombreux.
À la Motte Servolex, le numérique nous est très utile. Nous avons par exemple une application qui permet aux habitants de signaler des anomalies ou des disfonctionnements comme un luminaire qui reste allumé, une canalisation bouchée ou encore une fuite d’eau. J’ai encore eu l’exemple de son efficacité il y a quelques jours. Un habitant a pu nous prévenir qu’une canalisation avait une fuite importante. Il y a pour le citoyen une possibilité d’intervenir rapidement et d’être utile à la Cité.
Autre exemple, nous avons aussi une plateforme de valorisation des circuits courts, que nous avons appelé«M.A.R.Motte-Servolex » pour « Marchande, Associative et Ressource ». Nous l’avions mise en place 6 mois avant la crise du Covid. Elle était donc opérationnelle bien avant le 1er confinement.
Paroles d’élus : Quel est le projet qui vous tient le plus à cœur ?
Luc Berthoud : Ce que vous me demandez là est terrible… je pourrais m’en sortir par une pirouette en vous répondant que le projet qui me tient le plus à cœur, c’est le prochain…celui qui n’est pas encore fait et que l’on va réaliser. Certains projets ont demandé plus d’efforts et d’abnégation que d’autres, je pense notamment à l’éco hameau des Granges.
Paroles d’élus : De quoi s’agit-il ?
Luc Berthoud : Suite à la fin de l’activité des carriers, nous avions 17 hectares en friche. Ce projet, c’est plus de 10 ans de ma vie d’élus pour voir enfin se concrétiser son intuition première et pouvoir accueillir des gens dans cet écrin de nature. Nous avons voulu urbaniser cet espace de manière intelligente. C’est à dire en régénérant une zone humide qui commençait à s’asphyxier et en sanctuarisant un parc exceptionnel. Notre démarche a donc consisté à prioriser le respect de la biodiversité. Et seulement après, nous invitons l’homme et la femme à venir habiter cet écrin.
Paroles d’élus : À la lettre « w », vous avez choisi le mot « watt ». Est-ce à dire que vous vous êtes intéressés à la question de l’autonomie énergétique bien avant la guerre en Ukraine ?
Luc Berthoud : Oui, et même bien avant puisque dès 2009, nous avons commencé par exemple par faire évoluer notre réseau d’éclairage public en LED. À l’époque, nous n’étions vraiment pas nombreux à en parler. Nous nous sommes appuyés sur une société qui était dans une démarche de donnant-donnant. Elle cherchait une commune volontariste dans le domaine afin de tester grandeur nature sa technologie. Nous lui avons donc confié d’abord 2 rues qu’elle a équipées gratuitement. Nous avons fait ensuite un retour d’usage qui a été concluant. Aujourd’hui, plus de 85% de l’éclairage public est en LED. Nous avons ainsi divisé par 2 notre consommation électrique.
C’était une volonté de notre part de choisir la sobriété. Cette anticipation nous a laissé le temps de discuter et d’échanger avec les habitants sans subir.
Paroles d’élus : L’exercice d’un abécédaire est assez contraignant puisqu’il ne faut choisir pour chaque lettre qu’un seul mot. Auriez-vous pu choisir pour la lettre « d », le mot « data »? Est-ce un enjeu pour votre collectivité aujourd’hui ?
Luc Berthoud : À notre échelle, pas forcément. En revanche, à l’échelle intercommunale, celui du bassin de vie avec une continuité géographique, oui. Nous nous sommes posés la question dans le cadre notamment d’un projet que nous portons depuis une dizaine d’années. L’idée est d’utiliser l’eau du lac du Bourget dans une boucle de refroidissement pour les serveurs. Il faut savoir qu’à 46 mètres de profondeur, l’eau est à environ 6 degrés. Cette différence pourrait permettre de refroidir sans problème un data center. L’institut national de l’énergie solaire, basée à la Motte Servelex utilise déjà ce principe.
L’eau peut être rejeté à la surface du lac avec seulement quelques degrés de plus afin de ne pas perturber la vie aquatique. La démarche serait même bénéfique pour la biodiversité car l’eau en surface du lac peut facilement atteindre les 20° l’été. L’eau rejeté viendrait donc refroidir légérement la surface du lac. Si pour l’instant, l’installation d’un datacenter ne s’est pas concrétisée, je continue à pousser cette idée parce que je la trouve vertueuse.