[Égalité Femmes-Hommes] Questions à Peggy Vicomte, Déléguée Générale de Femmes@numérique
Alors que les autres filières techniques voient leurs effectifs féminins augmenter, le secteur du numérique, pourtant innovant et créatif reste à la peine. Face à ce constat, Femmes@numérique fédère tous les acteurs pour faire bouger lignes, préjugés et mauvaises habitudes. Pour en savoir plus, Paroles d’élus a pu poser quelques questions à Peggy Vicomte, sa Déléguée Générale.
Paroles d’élus : Comment est née Femmes@numérique ?
Peggy Vicomte : Femmes@numérique répond dès le départ à un besoin de collectif. La fondation a été initiée en 2018 par deux organisations professionnelles que sont le Cigref et Numeum (NDLR : né de la fusion de Syntec Numérique et de TECH IN France) et par des associations qui à l’instar de Talents du numérique, ont pour objectifs soit l’attractivité des métiers du numérique, ou comme l’AFMD et la Conférence des Grandes écoles, la promotion de la diversité.
Notre structure a donc la particularité de rassembler des entreprises et des associations sensibles aux enjeux de mixité dans la Tech. 42 entreprises mécènes se sont engagées pour construire un pot commun qui finance des projets d’associations présentes localement, de sensibilisation et de formation des jeunes aux métiers du numérique.
Paroles d’élus : Mais Femmes@numérique, c’est aussi aujourd’hui une association. Pourquoi ce « double statut » ?
Peggy Vicomte : Cette organisation répond à une double stratégie, à la fois d’engagement local mais aussi de représentation au niveau national. La Fondation est abritée par la Fondation de France. Cela assure une certaine stabilité tant financière que juridique mais ce n’est pas sans inconvénient, notamment en ce qui concerne notre opérationnalité. Ces fondations ne fonctionnent généralement qu’avec du mécénat de compétence. C’est pourquoi nous avons créé en 2021 cette association de soutien. Les actions menées tirent leur efficacité du fait qu’elles ciblent des publics bien précis. Parfois ce sont des collégiennes, d’autres fois des lycéennes, etc. Nous sommes donc capables aujourd’hui d’être présent localement mais également de passer à l’échelle, grâce à des actions nationales en fédérant l’ensemble des parties prenantes.
Paroles d’élus : Sur votre site, on peut lire que « la mixité dans le numérique est indispensable au développement réussi des usages technologiques ». Que voulez-vous dire par là ?
Peggy Vicomte : Pour nous, il y a un triple enjeu autour de ce sujet. Le premier enjeu est économique. Aujourd’hui le numérique est un secteur pourvoyeur d’emplois avec des postes plutôt bien rémunérés mais qui manque de talents. Il n’y a pas assez de ressources humaines qui s’orientent vers cette filière. Et si on veut être compétitifs par rapport aux autres pays, ne serait-ce qu’au niveau européen, on doit fournir les compétences utiles. Le plan France 2030 a par exemple pour ambition de mettre les compétences en adéquation avec les filières d’avenir. Sans mixité, nous ne serons pas capables de répondre à cette ambition.
Le deuxième enjeu est social. Je veux dire par là que l’on peut considérer le numérique finalement comme un outil d’émancipation financière et d’autonomie des femmes.
Enfin, le troisième et dernier enjeu est sociétal. Dans la Tech, encore en 2023, la plupart des solutions et des outils numériques sont conçus et déployés par des hommes et cela a des répercussions.
Paroles d’élus : Avez-vous un exemple de ces répercussions ?
Peggy Vicomte : Un exemple révélateur est le taux d’accidentologie en voiture. Pour une femme automobiliste, il est supérieur de 46% à celui des hommes. Pourquoi ? Tout simplement parce les crash tests et les modèles de calculs qui sont développés, sont réalisés à partir de la morphologie moyenne des hommes. À force de le dire, les entreprises commencent à rectifier cela mais il y a encore du travail. Si on ne prend pas conscience de cela, on ne peut pas mesurer à quel point notre société est inégalitaire dans la construction de ces solutions numériques.
Paroles d’élus : Récemment, une étude a surpris tout le monde. Elle a montré qu’un pourcentage accru de jeunes hommes légitimaient le recours à la violence dans leur rapport aux femmes. Restez-vous malgré tout confiante sur les évolutions à venir ?
Peggy Vicomte : L’étude que vous évoquez est très alarmante et a de quoi décourager. Mais personnellement, je reste optimiste car on constate aussi ces dernières années des avancées. Je vois par exemple une prise de conscience dans les entreprises, différents dispositifs ont été mis en place et commencent à porter des fruits, les associations se fédèrent et mènent des actions concertées… Nous devons rester dans une démarche positive. C’est de notre responsabilité citoyenne. Je crois que nous le devons aux générations futures.
Paroles d’élus : Le numérique est un milieu d’hommes fait pour les hommes. Comment changer cela ?
Peggy Vicomte : Aujourd’hui, on compte seulement 15 % de femmes dans les métiers techniques. Donc effectivement, dans une équipe de développeurs d’applications par exemple, c’est très compliqué de faire remonter des besoins liés à la condition féminine. Et cela n’encourage pas les jeunes filles à y aller. Il faut changer les perceptions et cela va prendre du temps.
Ce changement passera par exemple par une autre façon de proposer ces emplois. Si on prend par exemple un profil de poste dans la tech, il est souvent présenté comme très technique. Un homme et une femme ne réagiront pas de la même façon à la lecture de la fiche de poste. Les femmes vont s’attarder sur chaque compétence demandée, analyseront si oui ou non elles possèdent toutes les qualités et savoir-faire demandés et se retiendront de candidater. Les hommes, sans vouloir faire de généralité, fonctionnent différemment…
Paroles d’élus : Quels sont vos leviers d’actions ?
Peggy Vicomte : Les 1ères assises de la féminisation des métiers du numérique qui se sont tenus le 16 février dernier ont été l’occasion de mettre en avant justement nos moyens d’actions. Nous avons publié un plaidoyer qui comprend 15 propositions structurantes et qui représente l’ensemble des écosystèmes. Nous souhaitons par exemple la création d’un observatoire spécifique et indépendant. Celui-ci permettrait d’agréger des données publiques et de suivre l’ensemble de la situation. Il manque aujourd’hui un outil capable de donner une vision d’ensemble depuis l’école primaire jusqu’à l’évolution professionnelle des femmes. S’il existe déjà un indice qui mesure l’égalité dans l’entreprise, celui-ci ne fait pas le pont par exemple avec la sortie des jeunes filles diplômés de l’enseignement supérieur.
Paroles d’élus : Cet observatoire va-t-il permettre également de mesurer l’impact des actions ?
Peggy Vicomte : Oui et parfois de les ajuster. Nous avons par exemple après plusieurs années d’expérimentation, un retour sur les rôles modèles. Sur le terrain, nous avons découvert que cela pouvait être parfois contreproductif. Pourquoi ? Parce que le témoignage d’une femme PDG d’un groupe du CAC40 ne donne pas forcément envie à une jeune fille de quinze ans de se projeter… Cet observatoire permettrait donc aussi de parler le même langage.
Dans l’exemple que je viens de citer, c’est un retour d’expérience. Nous ne pouvions pas le savoir il y a encore 5 ans. C’est aussi parce que la société et les jeunes évoluent. Aux Assises, nous avons fait intervenir le bureau des élèves ingénieurs qui représente pas moins de 185 000 jeunes futur ingénieurs sur toute la France. Le message était très clair ; ils nous ont dit ; » ce que l’on veut c’est du sens ».
Paroles d’élus : Qui est aujourd’hui votre interlocuteur au gouvernement ?
Peggy Vicomte : C’est une très bonne question… cela fait près de vingt ans que je travaille dans la Tech et sur des politiques publiques. Cette année marque je crois une rupture dans la façon de travailler. Pour la première fois en effet, nous avons un plan pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui est interministériel. Il intègre par exemple l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, la transformation publique ou encore le numérique. Cela montre une prise de conscience. On ne doit pas parler d’égalité uniquement dans l’un ou l’autre domaine. Ce sujet doit finalement rayonner et ruisseler dans l’ensemble des dimensions de la société.