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    Les entretiens

    ENTRETIEN EXCLUSIF – David Lisnard « Être maire est plutôt une communion qu’une punition ! »

    Dans un entretien exclusif pour Paroles d’Élus, David Lisnard, Maire de Cannes et Président de l’AMF, partage ses réflexions sur les défis croissants auxquels font face les maires, entre bureaucratie grandissante et perte de civisme. L’occasion également de parler numérique et de l’importance cruciale de la cybersécurité et d’un certain… Georges Pompidou !

     

    Paroles d’élus : Monsieur le président, en tant que Maire et Président de l’AMF, vous assumez une double responsabilité. Comment s’articulent-elles à un moment où les maires sont très sollicités, subissent des pressions multiples, au point que beaucoup renoncent à exercer leur mission ?

    David Lisnard : Cela reste le plus beau des mandats, puisque c’est un mandat exécutif, extrêmement concret, un vrai mandat de praticien, qui donne la satisfaction du travail accompli. Dans les rapports avec la population, être maire est plutôt une communion qu’une punition !

    Mais il est vrai que j’ai observé son évolution depuis 20 ans, de part la montée en puissance d’une bureaucratie étouffante, le code général des collectivités territoriales à titre d’exemple a été multiplié par trois ces deux dernières décennies, le code de l’environnement par dix en 10 ans, le nombre toujours plus croissant de procédures, d’injonctions contradictoires… Tout cela rend l’exercice du mandat de plus en plus compliqué, dans un contexte de perte de civisme, certains parlent de dé-civilisation – ils n’ont pas forcément tort -, et de violence croissante. Ces phénomènes combinés font que la dernière décennie a vu deux fois plus d’édiles rendre leurs écharpes. Pour ce qui est de l’articulation de ces deux missions, je le fais avec la foi du charbonnier, avec passion, et un jour j’aurai une autre vie, après ma vie électorale.

    PDE : S’agissant de Cannes, votre ville se signale par le nombre et l’ampleur des événements internationaux qui rythment son calendrier. Le Festival bien-sûr, mais aussi le MIDEM, le MIPCOM, le World IA Cannes Festival le MIPIM qui commence… sans oublier Canneséries… Êtes-vous satisfait de vos partenariats numériques avec Orange ? Peut-on faire plus et mieux ?

    David Lisnard : Tout d’abord, nous sommes attachés à ce qu’Orange, une grande entreprise française, prospère et rayonne et soit présente dans des événements qui sont mondiaux. Cannes a été reconnue, pour la quatrième année consécutive, meilleure destination européenne pour les événements, et pour la deuxième année consécutive, meilleure destination mondiale par les World Travel Awards, les Oscars du tourisme, qui existent depuis 25 ans, face à Dubaï ou Barcelone.
    Il y a donc une exception française qui est Cannoise. Aucune ville française n’avait reçu ces trophées. Orange s’inscrit dans cette chaine du savoir-faire, il faut s’en féliciter. C’est aussi d’ailleurs une vitrine pour Orange. Je pense qu’il faut qu’on aille plus loin, qu’Orange nous utilise beaucoup plus comme vitrine, et pas seulement dans le cadre de la relation client / fournisseur. En tout cas la Ville de Cannes se félicite du travail qui est fait, même si parfois les relations sont plus compliquées avec les usagers et les professionnels.

    PDE : Compte tenu de la puissance et de la visibilité de ces événements et Salons, quelle est votre politique concernant la cybersécurité ? Est-ce un problème que vous avez déjà dû affronter ?

    David Lisnard : Oui, c’est un problème que nous avons affronté, comme malheureusement beaucoup d’entreprises, d’entités publiques, y compris notre hôpital à Cannes. On a eu une grosse attaque l’année dernière, mais les Pare-feu ont fonctionné. Je viens de lancer une nouvelle démarche car je pense que nous ne sommes pas assez performants en la matière. Avec donc une externalisation de prestations. On est en train de travailler non seulement sur la protection des cyber-attaques mais aussi sur toute l’architecture numérique de la mairie et de l’intercommunalité. Au-delà, j’ai lancé une démarche très proactive en matière d’IA, pour améliorer les interfaces avec les usagers, le back office administratif, en liant IA générative et robotique, et arriver à faire des économies d’échelles.

    Pour vous donner plus d’actions concrètes, on a fait à plusieurs reprises des audits de sécurité, ciblés par les tiers experts, nous avons sensibilisé nos personnels aux cyberattaques, afin qu’ils suivent toutes les recommandations dans la mise en œuvre des mesures de protection. C’est une supervision H24 des alertes de sécurités.

    PDE : Cannes est aussi une ville de 75000 habitants, dont des retraités. Est-ce une population connectée, qui bénéficie de la fibre ? Est-elle assez informée de la prochaine extinction du cuivre ? Quelle est l’action de la Ville pour permettre aux habitants de mieux apprivoiser le numérique ? La transition entre la télévision hertzienne et la TNT a montré combien le rôle des collectivités est précieux pour accompagner certains administrés parmi les plus fragiles.

    David Lisnard : La fréquentation des réseaux sociaux montre que les personnes âgées y sont très présentes, sur Facebook notamment. On a des clubs d’informatique, des cours de numérisation, par exemple Cannes Senior Le club, qui est très fréquenté. Il y a une offre d’apprentissage des usages numériques portée par la Ville. Bien-sûr, il y a un souci de Très Haut Débit, de connexion, de délai d’action par Orange, qui doit progresser dans sa relation avec les clients réels et potentiels.
    Quant au cuivre, c’est un sujet national que l’AMF porte depuis longtemps. Le démantèlement du cuivre doit passer par l’installation préalable du Très Haut débit. L’enjeu est là. Le démantèlement du cuivre est un facteur d’amplification de fracture numérique. Nous faisons très régulièrement des réunions à ce sujet avec les responsables d’Orange et les comités directeurs de l’AMF.

    PDE : Parmi les préoccupations des élus, diriez-vous que l’accès au très haut débit, le déploiement de la fibre, les zones mal couvertes s’inscrivent au premier rang ? Avez-vous le sentiment que les opérateurs, et surtout Orange, opérateur historique, en font assez pour combattre la fracture territoriale ?

    David Lisnard : Oui bien-sûr, c’est au premier rang. C’est le cas en zone urbaine, où on ne comprend pas que dans certaines zones à forte densité, tout ne soit pas encore installé. Orange met parfois en avant des problèmes d’urbanisme, lié à la ville, ce qui n’est pas toujours vrai. C’est un motif de tension. Je l’ai vécu. Et c’est évidemment encore plus cruel dans des zones blanches.
    Il y a eu une religion du « Tout fibre » qui a été à mon sens une erreur il y a une dizaine d’année, j’avais écrit au Premier Ministre Manuel Valls à l’époque pour inciter aussi au recours à des solutions satellitaires, qui, en Haut débit +, voire même en très haut débit sont performantes, et dans ces zones à faible densité présentent un rapport coût / avantages intéressant.

    PDE : Sur un plan plus personnel, vous avez publié, avec Christophe Tardieu, un livre sur Georges Pompidou.  Pourquoi ce Président là, et pourquoi aujourd’hui ?

    David Lisnard : Georges Pompidou aujourd’hui, car nous avons célèbré les 50 ans de sa mort le 2 avril dernier. Le livre est sorti le 27 mars aux éditions de l’Observatoire. J’avais déjà écrit un livre avec Christophe Tardieu sur la culture, et je sais que nous écrivons facilement à « quatre mains ».  Pourquoi ce Président ? Dans les discussions que nous avions eues, j’évoquais ma pompido-mania , qu’il ne partageait pas complétement, car il  est plutôt un Gaulliste historique. Personnellement Je suis venu à De Gaulle par Pompidou, alors qu’il est venu à Pompidou par De Gaulle, comme nous l’avons écrit dans l’introduction.

    Dans la période actuelle, le Premier Ministre Pompidou, ainsi que le Président Pompidou, renvoient, sans tomber dans la nostalgie – car les époques ne sont pas les mêmes – à une période où la France était vraiment maitresse de son destin. Il y avait sous Pompidou une ambition française, dans tous les domaines, et en particulier une qualité des services de l’Etat bien supérieure à ce que l’on rencontre aujourd’hui. Nous avons donc des leçons à en tirer. Comme d’ailleurs de toutes les grandes figures de notre Histoire de France, de Saint Louis, au Général de Gaulle, en passant par Philippe Auguste ou Napoléon.  Il y a aussi le fait que Pompidou nous est apparu comme le président peut être le plus méconnu.

    D’ailleurs c’est celui qui a fait l’objet du plus petit nombre de publications. Pourtant il a été le Président d’une France dont nous pouvons être fiers : politique industrielle ambitieuse, qui se dote d’une souveraineté énergétique , qui arrive à tirer profit d’une stratégie de la planification sans tomber dans les lourdeurs du Plan. Une France qui rayonne sur le plan culturel, qui fait le lien entre la culture classique et l’art contemporain. Il n’est pas dans l’emphase, déconnectée des réalités et des capacités réelles du pays. Il est dans la volonté et l’action, qui se retrouvent de manière ambitieuse dans l’aménagement du territoire et non pas des territoires, pluriel abominable qui marque la fragmentation de la société et l’absence de politique au service du bien commun. Et je n’oublie pas sa capacité d’anticipation notamment sur la question de l’écologie : il a en effet créé le premier ministère de l’environnement en 1971.