Ruralitic : Pour Frédérique Espagnac “Sans internet, la montagne risque de voir sa vie gelée”
Alors que la 19ème édition de Ruralitic vient de fermer ses portes, clôturons notre série d’entretiens avec Frédérique Espagnac. La Sénatrice des Pyrénées-Atlantiques est intervenue à Aurillac au nom de l’ANEM. Très impliquée sur les questions de déploiement de la fibre et de l’accès à la culture, l’élue revient pour Paroles d’élus sur les enjeux propres aux territoires de montagne.
Paroles d’élus : Ruralitic est-il un rendez-vous récurrent pour l’ANEM ?
Frédérique Espagnac : La réponse va peut-être vous surprendre. Malgré le fait que Vincent Descoeur, actuel Député du Cantal et membre de l’ANEM soit le cofondateur de Ruralitic, cet événement n’était pas jusqu’à présent, un rendez-vous récurrent pour notre association. Nous avons donc souhaité rectifier le tir cette année.
Deux raisons à cela. D’abord, je suis rapporteur du budget sur le plan Très Haut Débit pour le Sénat en commission des finances. Évidemment, l’enjeu pour l’ANEM est majeur. Vous le voyez bien, c’est souvent en montagne que les plus grosses difficultés et retards existent dans le déploiement des réseaux. Je me bats depuis de nombreuses années avec Bernard Delcros, Sénateur du cantal pour préserver l’attractivité des territoires ruraux et de montagnes. Nous sommes par exemple à l’origine avec Bernard du sauvetage des ZRR devenues depuis le 1 juillet FRR.
Le deuxième point, c’est que le Cantal, où se déroule Ruralitic, est un département de montagne. Il compte pas moins de 270 communes classées.
Enfin, une autre dimension est importante à mes yeux, c’est celle de l’égalité d’accès. Il en a été beaucoup question durant ces trois jours. Sur ce point, j’ai remis en juin dernier un certain nombre de propositions suite à une mission confiée par la Ministre de la Culture sur l’accessibilité de la culture dans les territoires ruraux. Le numérique y joue forcément une part importante.
Paroles d’élus : Quels messages avez-vous portés lors de vos interventions ?
Frédérique Espagnac : Aujourd’hui, le numérique est essentiel en montagne. Et peut-être même plus qu’ailleurs. Il s’agit d’attractivité et de désenclavement. Mais aussi de préservation environnementale et de services publics. Je pense notamment à la désertification médicale, au développement économique, au télétravail, etc. Sans internet, la montagne risque de voir sa vie gelée, alors qu’elle a un potentiel formidable de développement.
Il y a aussi la question des services publics pour tous. Permettre aux enfants vivant dans les massifs de bénéficier d’une égalité des chances est crucial. Sans internet, l’accès à la fibre ou au débit est pénalisant, d’où l’importance de témoigner à Ruralitic.
Paroles d’élus : Garantir l’accès à des réseaux performants reste donc un défi toujours d’actualité ?
Frédérique Espagnac : Dans les territoires de montagne, la couverture numérique s’est nettement améliorée. D’ailleurs, cette année, l’ANEM, en partenariat avec la Banque des Territoires, a confié à l’IFOP la réalisation d’un sondage auprès des Français et des montagnards sur leur perception des territoires de montagne et des conditions de vie qui y sont associées. Interrogés plus particulièrement sur les services disponibles dans les communes de montagne, les montagnards sont presque unanimes : si l’accès aux services publics est insuffisant, ils notent une amélioration de la qualité des réseaux internet et téléphonie mobile. Cette amélioration ne veut pas dire qu’il n’y a plus de zones blanches et que le déploiement est terminé. La montagne a deux inconvénients majeurs. D’un côte le climat, avec les problèmes d’enneigement. De l’autre, les incendies, qui posent de gros soucis pour la résilience des réseaux. Ce sont des risques environnementaux qui pèsent sur le déploiement et l’accessibilité du numérique.
Hier, nous avons abordé un point important. Celui de la situation budgétaire. Si le budget 2024 n’est pas voté, non seulement nous serons à budget constant, mais nous n’aurons plus les fonds nécessaires pour tenir les objectifs de déploiement, surtout en montagne et en zone rurale, où les besoins sont les plus grands. On observe déjà un ralentissement significatif dans le nombre de raccordements, particulièrement en raison des coûts élevés de génie civil. Par exemple, au deuxième trimestre 2023, la dynamique ralentit fortement. Sur cette période 870 000 locaux ont été raccordés, contre plus de 1,2 million au deuxième trimestre 2022. Cela montre à quel point les zones rurales et de montagne, qui ont le plus besoin de ce déploiement, sont aujourd’hui les plus en difficulté.
Paroles d’élus : Le fil rouge de cette 19ème édition de Ruralitic est l’inclusion. Avec votre regard de Sénatrice, voyez-vous une amélioration au niveau national ?
Frédérique Espagnac : Sur cette question de l’inclusion, nous constatons que nous avons raté le premier wagon, notamment en ce qui concerne la formation et l’accompagnement des élus et des citoyens. Cela se voit particulièrement dans les zones rurales et montagneuses, où l’accès à l’internet est souvent limité, ce qui complique encore plus l’accompagnement des populations, notamment les plus âgées, qui souhaitent rester chez elles le plus longtemps possible.
L’inclusion numérique est donc un enjeu majeur, non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les personnes âgées. Nous devons continuer à déployer des initiatives comme les conseillers numériques ou les France Services itinérants, soutenus par l’ANEM, et qui ont montré leur efficacité en rapprochant les services publics des citoyens.
C’est un travail collectif que nous devons mener pour assurer que tous les citoyens, où qu’ils se trouvent, aient accès aux services numériques essentiels. Les défis sont grands, mais les initiatives sont là, et il est crucial de continuer à les développer pour ne laisser personne de côté dans cette transition numérique.
Les territoires de montagne doivent pouvoir avoir les mêmes chances que les territoires plus urbanisés d’accéder à l’éducation, la culture, au sport, monter leur entreprise…
Paroles d’élus : Le numérique est donc aussi une partie de la solution…
Frédérique Espagnac : Oui, pouvoirs publics et les élus locaux foisonnent d’idées et financent des programmes pour accéder au numérique. Je pense aux élus qui ont fait le choix des « smart village ». Des solutions innovantes améliorent la vie des administrés. Elles permettent pour certaines de limiter les dépenses : meilleure gestion de l’éclairage, des déchets ou des réseaux d’eau. Sans oublier la questions des transports, les e-services et e-administrations.
Certains départements de montagne ont fait le choix de l’éducation en permettant aux jeunes d’accéder à Internet avec des tablettes. Les campus connectés, comme ici même à Aurillac, sont aussi un élément d réponse. Ils permettent à des jeunes de nos villages de poursuivre des études supérieures autrement…
Pour accéder à l’interview de Sébastien Côte, Commissaire de Ruralitic, c’est ici
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