[Eau&data] Rencontre avec M. Franck Sanfilippo, Directeur du service de l’eau de la Société du Canal de Provence
Rencontre avec M. Franck Sanfilippo, Directeur du service de l’eau de la Société du Canal de Provence pour parler gestion de l’eau et surtout découvrir comment le numérique est devenu un outil précieux au quotidien. La Société du Canal de Provence (SCP) qui garantit l’alimentation en eau multiusage (collectivités, agriculteurs, industries et entreprises et défense incendie) sur une large partie de la région, mise justement sur l’innovation pour répondre aux défis de demain. Pour en savoir plus, Paroles d’élus est allé à la rencontre de son Directeur, M. Franck Sanfilippo. Créée il y a plus de 60 ans, la SCP a su anticiper et innover pour une gestion optimisée qui démontre toute sa robustesse aujourd’hui face au changement climatique et ainsi répondre aux besoins des territoires pour sécuriser leur alimentation en eau et contribuer à leur développement durable.
Paroles d’élus : La question du manque d’eau semble être un enjeu relativement récent au niveau national. En Provence-Alpes-Côte-d’Azur, cela fait plusieurs décennies que la Société du Canal de Provence veille sur cet « or bleu ». Pouvez-vous nous parler de son origine ?
Franck Sanfilippo : Oui, la Société du Canal de Provence a déjà plusieurs décennies derrière elle. Elle a été créée en 1957, donc elle a plus de 60 ans aujourd’hui. Elle est née pour répondre à la problématique de l’eau en Provence, afin de sécuriser l’approvisionnement en eau et éviter les sécheresses et pénuries. Dès le départ, la société a conçu un vaste aménagement hydraulique, appelé aujourd’hui la Concession Régionale du Canal de Provence, qui permet d’alimenter 40 % du territoire de la Région Sud pour tous les usages : l’eau potable, l’irrigation agricole, les eaux de process pour les entreprises et industries, la protection contre les incendies, et d’autres usages aujourd’hui impactés par le changement climatique.
Paroles d’élus : Existe-t-il une hiérarchie entre ces différents usages ?
Franck Sanfilippo : Et non ! Aujourd’hui, nos réseaux hydrauliques permettent d’alimenter tous ces usages de manière équilibrée. Le fonctionnement repose sur des stocks d’eau, grâce à des retenues artificielles construites après la Seconde Guerre mondiale, financées en partie par le plan Marshall. Nous stockons l’eau du Verdon. Ces grands barrages sont gérés par EDF. C’est une eau de grande qualité prélevée dans le Parc naturel régional du même nom. Ces stocks se remplissent lors des périodes pluvieuses, comme en automne ou en hiver et grâce à fonte des neiges. Cette eau, en période estivale, lors de laquelle les épisodes de sécheresse sont les plus fréquents est distribuée et permet de satisfaire l’ensemble des besoins, tout en étant accompagné de réels efforts de sobriété
Paroles d’élus : La SCP est-ce aussi une histoire d’élus ?
Franck Sanfilippo : Tout est lié. En tant que société d’économie mixte, notre actionnariat est en effet majoritairement public, avec plus de 85 % détenu par des collectivités telles que la région Sud, Provence-Alpes-Côtes d’Azur, les départements des Bouches-du-Rhône, du Var, de Vaucluse, des Alpes de Haute-Provence, des Hautes-Alpes et la Métropole Aix-Marseille Provence. . Les besoins des territoires remontent par le biais du conseil d’administration et des élus, et c’est à nous, techniciens, de proposer les programmes d’aménagements hydrauliques adaptés. Nous sommes au service des territoires et nos actions visent à répondre aux ambitions fixées par les élus.
Paroles d’élus : Quelles sont les tendances en termes de consommation d’eau ? Est-ce que la demande a augmenté ces dernières années ?
Franck Sanfilippo : C’est vrai que les périodes de sécheresse de 2021 et 2022 ont pu renforcer cette idée. On note aussi une prise de conscience de l’importance de l’aménagement hydraulique du canal de Provence pour sécuriser l’approvisionnement en eau de la Région Sud. Mais si l’on regarde dans le détail l’évolution des consommations, on observe des baisses significatives. Par exemple, dans l’industrie, les consommations en eau ont diminué de 25 % sur les 15 dernières années, grâce à l’optimisation des processus industriels. En agriculture, l’irrigation au goutte-à-goutte a permis de réduire les consommations d’eau, qui ont été divisées par 5, passant de 4 500-5 000 m³/ha à environ 1 000 m³/ha. Cela montre que la sobriété est une réalité prise en compte depuis longtemps en Provence.
Paroles d’élus : Dès la création de la Société du Canal de Provence, il y avait une volonté de sécuriser l’approvisionnement en eau tout en soutenant le développement industriel. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Franck Sanfilippo : Oui, la Provence a toujours été sujette à des climats extrêmes. Il faut faire face notamment à de longues périodes de sécheresse. Cela nous a obligés à nous adapter rapidement. Cette capacité d’adaptation se généralise désormais sur tout le territoire. Dès sa création, la SCP a cultivé une forte culture de l’innovation technique, qui reste présente à tous les niveaux. Nous avons par exemple développé un système de régulation dynamique qui permet de suivre les prélèvements d’eau en temps réel et de ne prélever que le nécessaire. Grâce à ce système, nous atteignons un rendement supérieur à 90 %. Il y a aussi des innovations sur le terrain, comme l’utilisation de capteurs intelligents pour optimiser l’irrigation agricole.
Paroles d’élus : Ces innovations sont-elles en phase d’expérimentation ou déjà largement déployées ?
Franck Sanfilippo : Certaines sont encore en phase d’expérimentation, mais lorsqu’elles démontrent leur efficacité, elles sont rapidement intégrées à nos processus. Nous cherchons en permanence à innover pour garantir une gestion de l’eau toujours plus précise et adaptée aux défis actuels.
Nous travaillons aussi sur des projets qui associent eau et énergie, en particulier dans le secteur agricole. Concrètement, nous développons des solutions d’agrivoltaïsme sur certaines parcelles en phase de test. Cela consiste à installer des panneaux solaires qui non seulement produisent de l’énergie, mais permettent aussi de créer de l’ombre pour les cultures. Cela optimise ainsi le rendement de l’irrigation. C’est un double enjeu, eau et énergie, qui doit répondre aux défis climatiques de demain.
Paroles d’élus : Quels sont les principaux enjeux à venir pour la SCP ?
Franck Sanfilippo : Les enjeux sont multiples. Premièrement, nous devons sécuriser davantage de secteurs sur le territoire de la Concession Régionale du Canal de Provence notamment dans le Var et dans le Vaucluse. Cela concerne autant l’irrigation agricole que l’approvisionnement en eau de certaines communes, dont les forages locaux sont fortement impactés par les sécheresses. En période de forte tension sur les ressources locales (de surface et en nappe), le Canal de Provence doit assurer la sécurité de l’alimentation en eau de ces collectivités et plus largement de ces territoires.
En parallèle, il est essentiel de développer nos réseaux tout en accompagnant les utilisateurs vers plus de sobriété. L’idée est de ne pas augmenter les prélèvements sur les ressources en eau, même si la demande grandit.
Paroles d’élus : Pouvez-vous en dire plus sur les techniques d’irrigation que vous déployez ?
Franck Sanfilippo : Nous utilisons des systèmes de goutte-à-goutte couplés à des capteurs de tensiométrie, qui mesurent l’humidité du sol. Ces capteurs, associés à d’autres instruments mesurant la croissance et le flux de sève des plantes, permettent d’ajuster l’irrigation au plus juste. Il s’agit d’apporter la bonne quantité d’eau, au bon moment. Par exemple, pour la vigne, il s’agit de la faire « stresser » légèrement afin de maintenir un bon niveau de production sans gaspiller l’eau.
Paroles d’élus : Ces innovations nécessitent des compétences pointues. Comment recrutez-vous vos experts ?
Franck Sanfilippo : La Société du Canal de Provence emploie des agronomes et des experts en hydraulique. Nous recrutons des ingénieurs issus de grandes écoles comme AgroParisTech, INSA Toulouse, ou encore l’école d’hydraulique de Grenoble. Nous avons aussi besoin de techniciens spécialisés en gestion de l’eau, formés dans des établissements locaux comme les BTS Gestion et Maîtrise de l’Eau.
Paroles d’élus : Quels sont les projets à venir pour améliorer cette gestion de l’eau ?
Franck Sanfilippo : Nous n’envisageons pas de créer de nouvelles retenues d’eau de grande envergure. Toutefois, il est possible de réaliser des projets locaux de retenues collinaires pour stocker l’eau au bon moment. Cela permet ainsi répondre aux besoins en irrigation. Nous avons également la responsabilité de mettre en œuvre un plan d’aménagement et d’investissement de 620 millions d’euros sur les 15 prochaines années pour sécuriser les territoires impactés par le changement climatique afin de répondre à leurs besoins en eau et préserver leurs ressources locales en tension tout en accompagnant les utilisateurs vers une gestion toujours plus sobre et économe de la ressource.