Qui veut (m’) acheter mes data ?
Et si nous changions les règles du jeu ? C’est en quelque sorte ce que propose l’étude « Mes datas sont à moi » publiée par le Think tank GénérationLibre. A travers près de 148 pages, l’équipe de Gaspard Koenig aborde sans demi-mesure l’idée de patrimonialisation de nos données. Si elles sont, selon la formule convenue, « le pétrole du 21e siècle, il est temps de poser la question : à qui appartient le pétrole ? »
Chaque jour, nous acceptons des dizaines de « cookies » sur notre ordinateur. Nous consentons ainsi, sans même nous poser la question, à des conditions d’utilisation quasi extrême qui nous « dépossèdent de nos données personnelles, y compris les plus intimes ». En ligne de mire, GénérationLibre dénonce bien évidemment les GAFA et autres plateformes qui « se rémunèrent en grande partie par la monétisation de ces données agrégées, notamment via la publicité ».
Rien que pour Paypal, les conditions d’utilisation seraient, parait-il, plus longues que Hamlet, le style en moins, c’est dire… Et quand bien même nous aurions le temps de lire cette « littérature abondante » qui, comme l’a montré une étude de Carnegie Mellon University représente pour un Américain moyen l’équivalent de 76 jours de lecture par an pour environ 1500 conditions d’utilisations signées, nous les accepterions malgré tout au nom de la gratuité du service.
Pour GénérationLibre, cette gratuité des services masque justement un pillage en règle de nos données. En soit, rien de nouveau à l’horizon, nous direz-vous ? Effectivement, s’il n’y avait que ce constat, pas besoin d’être chercheur pour en arriver là. Mais voilà, GénérationLibre va plus loin et développe avec beaucoup de précisions, l’idée de patrimonialisation des données, tout en essayant d’imaginer ses conséquences, ses contraintes et le moyen de contourner ces dernières.
Car cette gratuité reposerait en effet pour les auteurs de « Mes datas sont à moi » sur une fiction, celle de présupposer que nous avons tous la même valeur pour les plateformes, i-e en fait quasi nul. Au contraire, la réalité est tout autre : certains utilisateurs produisent d’importantes masses de données, alors que d’autres peuvent être moins prolixes et laissent « le minimum de traces digitales ».
En fait, tout l’intérêt de cette étude est de ne pas se contenter du théorique. Grâce notamment à la participation d’un professeur agrégé des facultés de droit, d’un avocat au Barreau de Paris, d’un ingénieur en cybersécurité ou encore d’un enseignant-chercheur, elle aborde la question de la patrimonialisation de nos données avec un regard technique et juridique mais pas seulement. L’éclairage est aussi éthique voir même, osons le terme… philosophique. En ce sens, il est intéressant par exemple de réaliser que les états dits « de droit » peuvent être réfractaires à la monétisation des données afin de garder la main sur nos données, au nom d’une sacro-sainte sécurité. Le Conseil d’Etat avait par ailleurs insisté sur le fait que « la reconnaissance du droit de propriété de l’individu sur ses données pose de sérieuses difficultés juridiques pour les pouvoirs publics ».
Autre questionnement, celui de la personnalisation des contenus. A l’origine, internet devait être une encyclopédie géante et sans limite. Aujourd’hui « loin de se voir offrir une infinité de choix possibles, chacun finit par voir ce qu’il veut voir, entendre ce qu’il veut entendre, lire ce qu’il veut lire. Prenant en compte nos recherches passées, Google nous livre en priorité les informations susceptibles de nous plaire, au risque d’amplifier nos biais subjectifs ». Au lieu de nous ouvrir au monde, « Internet nous enferme dans notre bulle ».
GénérationLibre fait aussi un aparté sur le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) dont nous vous avions parlé dans le dernier JT. Selon le Think tank, celui-ci avance dans la bonne direction « en attribuant aux entreprises un rôle de « gardiennes » de données et non pas de propriétaires, et en garantissant la portabilité des données personnelles. L’attribution d’un droit de propriété serait une suite logique de ces avancées réglementaires ».
Cette attribution d’un droit de propriété pour nos data est en fait le fil conducteur de cette étude : Par le passé, certaines révolutions ont vu naître de nouveau droit. Ainsi par exemple, la révolution industrielle a rendu nécessaire le droit de propriété intellectuelle. De même, de la révolution numérique devrait émerger, selon GénérationLibre, un droit de propriété sur les données.
Cette innovation juridique viendrait « bousculer le fonctionnement de l’écosystème numérique, en donnant aux utilisateurs-producteurs (…) la possibilité de contractualiser l’usage de leurs données personnelles auprès des plateformes (…) la possibilité de monétiser ces données en fonction des termes du contrat » ou à l’inverse la possibilité de « payer le prix du service rendu par les plateformes sans leur céder nos données ».
Alors que la valeur des données personnelles en Europe pourrait, selon le Boston Consulting Group, atteindre 1 000 milliards d’euros d’ici 2020, soit 8 % du PIB européen, la France et l’Europe seront-elles aux avant-postes de la patrimonialisation de nos données ? Si le chemin est encore long, le droit français se prête particulièrement bien à l’inscription d’un tel droit de propriété…
Pour en savoir plus, vous pouvez télécharger (sans rémunération) cette étude en cliquant ici. A lire sans modération…