Mission « Territoires Connectés » : Questions à Valérie Nouvel, Vice-Présidente du département de la Manche
Le 16 mars dernier, une lettre de mission intitulée « Territoires Connectées » a été confiée à Valérie Nouvel, Vice-Présidente du département de la Manche, et à Carlos Moreno, professeur de l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste des villes et territoires de demain. L’objectif de cette démarche ? Structurer « une offre souveraine, sobre, sécurisée et adaptée aux besoins des collectivités territoriales ». Pour en savoir plus, Paroles d’élus a pu poser quelques questions à l’élue normande.
Paroles d’élus : Le choix d’une élue départementale pour cette mission est-il selon vous anodin ?
Valérie Nouvel : C’est en tout cas un bon signal donné par les Ministres car c’est reconnaître quelque part que le Département est la bonne dimension quand il s’agit de mettre en place des solutions numériques opérationnelles. Nous avons pu l’expérimenter grandeur nature ces dernières années aussi bien avec le déploiement des infrastructures réseaux que pour la mise en place des politiques d’inclusion. Ainsi, pour mailler rapidement tout le territoire avec les conseillers numériques, les Départements se sont très vite imposés comme le bon interlocuteur.
Paroles d’élus : Si l’on vous connaît pour votre engagement au niveau de l’ADF et pour la rédaction en 2017 d’un Livre Blanc sur le Numérique éducatif, on connaît moins votre expertise dans le domaine des Territoires Connectés. Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
Valérie Nouvel : Je suis ingénieur de formation, ce qui me permet de comprendre un certain nombre de dimensions techniques. J’ai également une double compétence sur les méthodes multicritères d’aide à la décision. Et comme mon mémoire de fin d’études portait sur l’analyse systémique, j’y vois des passerelles avec la mission qui nous a été confiée puisqu’ici nous nous trouvons dans un cadre multi-usages et multi-entrées.
Par ailleurs, comme conseillère départementale de la Manche, je siège au bureau de Manche Numérique et j’interviens pour Départements de France dans le comité France Très Haut Débit en binôme avec Jean-Jacques Lasserre.
Dans tous ces engagements, je n’ai qu’une préoccupation. Celle de rappeler à chaque fois la réalité du déploiement du numérique sur nos territoires, en bien et en moins bien. J’essaie d’avoir toujours un discours positif sur le numérique car je crois que c’est une opportunité historique pour améliorer la qualité de vie de nos concitoyens.
Paroles d’élus : Comment se déroule concrètement votre mission ? Y a-t-il par exemple un calendrier déjà défini ?
Valérie Nouvel : Nous avons jusqu’au 30 juillet 2023. À cette date, nous devrons rendre la conclusion de nos travaux aux Ministres Barrot et Faure puisque c’est une lettre de mission à deux tutelles, l’une « numérique » et l’autre « territoires ». Dans cette lettre, on nous demande de façon très claire de regarder, maintenant que la question du déploiement des réseaux arrive à son terme, ce qui se passe sur les territoires au niveau du déploiement des usages.
Nous devons mettre face à face l’offre industrielle et les besoins des collectivités et voir dans quelle mesure cela fonctionne. Dans le cas contraire, nous déterminerons ce qu’il serait bon de faire pour que l’offre soit adaptée aux besoins. Notre rôle n’est donc pas de faire un état des lieux de territoires car cela a déjà été fait par la Direction Générale des entreprises.
Nous sommes actuellement sur l’écriture de la structure de notre rapport que nous présenterons très prochainement aux Ministres afin de valider avec eux si la compréhension de leur commande correspond à leurs attentes. Nous aurons ensuite une première phase qui consistera à former différents groupes d’interlocuteurs. Ces derniers seront constitués d’industriels et de collectivités. Dans un second temps, il y aura aussi des visites de terrains à partir de collectivités engagées sur cette thématique.
Paroles d’élus : Les collectivités sont-elles appelées à se manifester ?
Valérie Nouvel : Avec Carlos Moreno, nous avons déjà en tête bien évidemment un certain nombre de territoires et nous avons pu identifier certaines collectivités. Pour autant, nous allons surtout nous appuyer sur les associations d’élus, que ce soit l’ADF, l’AMF, Régions de France ou l’AMF pour n’en citer que quelques-unes. Elles auront un rôle de relais pour mettre en valeur les projets mis en place par les élus locaux.
Nous souhaitons également regarder ce qui peut se faire à l’étranger. C’est un aspect important car aujourd’hui, lorsque l’on parle d’offre souveraine par exemple, on est davantage à une échelle européenne que française.
Paroles d’élus : les collectivités sont-elles toutes prêtes à devenir des territoires connectés ?
Valérie Nouvel : Il y a sans doute là un point d’achoppement. Vous ne trouverez surement jamais par exemple dans les professions de Foi lors d’une campagne électorale, le terme « Territoire connecté ». Pourquoi ? Sans doute parce que la préoccupation constante d’un élu, d’une petite commune de 250 habitants ou de plusieurs centaines de milliers, c’est de pouvoir améliorer et faciliter le quotidien de ses concitoyens. C’est à travers ce prisme que nous devons analyser de près les usages numériques. En effet, chaque fois que les maires se sont emparés du numérique c’est d’abord parce qu’ils y ont vu un outil supplémentaire au service de cette cause.
C’est pourquoi, plutôt que d’utiliser le vocable de « territoires connectés », nous préférons utiliser avec Carlos, l’expression de » territoire à haute qualité de services pour les habitants ». Dans nos recommandations, nous allons justement essayer de donner des pistes pour rapprocher ces usages numériques de cette préoccupation commune à tous les élus.
Paroles d’élus : La question de la résilience énergétique fait-t-elle partie de vos travaux ?
Valérie Nouvel : Oui et j’ai presqu’envie de dire que sur ce point, il n’y a pas de débat. Il n’y a pas de raison en effet de séparer les deux; ce n’est pas parce que l’on parle de sobriété ou de résilience énergétique que l’on ne pourra pas déployer de nouveaux usages. De la même façon, nous devons embarquer ensemble la question de l’inclusion et celle du développement des usages.
Pour intégrer cette dimension énergétique, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de Carlos Moreno mais aussi sur ceux de l’Ademe. L’agence a en effet publié récemment des scénarios neutralité carbone à horizon 2050. Les 4 scénarios développés sont très différents. Ils permettent d’alimenter la réflexion des collectivités qui souhaitent amorcer concrètement leur transition écologique. Nous avons également à notre disposition le rapport de l’Arcep, publié il y a 3 semaines, sur l’impact environnemental du numérique. C’est important de sensibiliser les élus au fait que selon les solutions numériques choisies, l’emprunte carbone ne sera pas la même.
Paroles d’élus : Pensez-vous qu’il y aura un grand plan national des Territoires Connectés comme il y a eu le Plan France Très Haut Débit ?
Valérie Nouvel : Pour les Ministres, l’enjeu du déploiement des usages apparait moins financier qu’organisationnel. À titre d’exemple, nous avons demandé à la DGE il y a trois semaines de nous faire un point sur l’ensemble de AMI et appels à projets qui actuellement sont en place. Il y en a énormément. Et sans exagérer, on peut dire que chaque ministère à ses propres dispositifs. En posant cette question, je savais qu’obtenir une réponse précise nécessiterait un peu de temps. Nous avons eu finalement une première liste mais elle continue de s’allonger au fil des jours. Tous ces dispositifs d’accompagnements ont été montés au fur et à mesure de l’expression de besoins, ce qui est tout à fait normal. Mais nous sommes arrivés aujourd’hui à un point où il faut remettre de la cohérence.
Il y a aussi pour nous une problématique d’évaluation. S’il est simple en effet de comptabiliser le nombre de kilomètres de fibre déployés, il est plus difficile d’évaluer la bonne progression des usages numériques. C’est pour nous un autre point de vigilance essentiel.