Loïg Chesnais-Girard : « Si on n’a pas confiance dans les territoires, on n’a pas confiance dans la France »

Au lendemain du Congrès de Régions de France à Versailles, le Président de la Région Bretagne revient sur la rencontre de travail avec le Premier ministre. Budget, décentralisation, cybersécurité : un échange franc de plus de deux heures qui a permis d’esquisser une vision partagée de la République. Entre autonomie des territoires et État fort, Loïg Chesnais-Girard plaide pour un « fédéralisme à la française » qui redonnerait confiance aux citoyens.
Paroles d’élus : Les rencontres de Régions de France ont toujours été marquantes. Cette fois, vous avez eu un temps long avec le Premier ministre. Qu’est-ce qui s’est dit ? Quel était l’état d’esprit ?
Loïg Chesnais-Girard : Nous sommes là dans un moment de gravité pour le pays. Nous en avons tous conscience. Le Premier ministre travaille à son budget mais veut aussi lancer une dynamique sur la décentralisation. Les présidents de région assument des compétences importantes dans les territoires, sur la vie quotidienne des Français. Depuis les mobilités, les trains, les cars, jusqu’au lycée, en passant par l’emploi. Nous avons eu un échange franc, direct, de plus de deux heures. Cela a permis de balayer notre vision d’une République qui doit s’appuyer sur l’État et les collectivités. Pour cela, il faut du dialogue. C’était une journée de dialogue.
PDE : Le budget occupe tout l’espace médiatique. En avez-vous aussi parlé ?
LCG : Il a été question de budget, évidemment. Il est impensable que nous puissions continuer à assumer des responsabilités si on nous coupe nos financements. Former des infirmiers et des infirmières, des aides-soignants et des kinés sans argent public, ça n’existe pas. Faire tourner des lycées ou des cars et des trains sans argent public, ça n’existe pas. Carole Delga l’a dit, nous le disons : on est prêts à prendre notre part dans l’effort pour le redressement des finances publiques. Mais prendre notre part ne veut pas dire sacrifier les services publics du quotidien. Cela accentuerait la tension dans nos territoires.
Nous avons conscience que ce pays a besoin de respirer, de faire confiance au territoire. Si on croit dans le pays, si on croit dans la France, on doit avoir confiance dans les hommes et les femmes qui assument des responsabilités en local. Les pouvoirs décentralisés que représentent les collectivités locales sont essentiels. Nous avons aussi parlé d’un horizon encore plus lointain avec le débat sur le financement du prochain budget européen entre 28 et 34. Rendez-vous compte : 28-34 ! On ne peut pas se laisser absorber par le débat budgétaire français et ne pas s’occuper de ce qui se passe au niveau du budget de l’Union européenne. Ça va impacter nos territoires, depuis nos agriculteurs jusqu’à nos villes et nos campagnes.
PDE : Vous défendez depuis longtemps plus d’autonomie pour les régions. Est-ce que cette vision a progressé ?
LCG : Dans l’hémicycle régional, nous avons voté ensemble un texte lorsque le Congrès s’était réuni à St Malo. Nous ne voulions pas forcément plus de compétences, mais mieux de compétences. Être capables d’aller au bout des compétences que nous avons aujourd’hui. Ce qu’on appelait « plus d’autonomie dans la République », « plus de différenciation ». Jean-Jacques Urvoas, constitutionnaliste et ancien ministre garde des Sceaux, a proposé une modification de l’article 72 de la Constitution. Cela permettrait à chaque collectivité de se saisir, par une délibération, de nouvelles compétences. Je trouve que ça donnerait une forme de modernité à notre pays : un fédéralisme à la française. Sans tout bousculer, sans faire peur, sans grand soir. Mais en donnant la main à celles et ceux qui veulent faire ce pays.
PDE : Le mot « autonomie » fait peur quand il s’agit de la Bretagne ou de la Corse, mais pas quand c’est l’Île-de-France qui en parle. Pourquoi cette différence de traitement ?
LCG : Il ne faut pas avoir peur des mots. La diversité des territoires, de nos cultures, de nos langues régionales, de nos manières de vivre fait la France. Personne ici ne veut dépecer notre nation et notre envie d’être dans un avenir commun. Par contre, il faut donner de l’air. Il faut donner de l’autonomie aux territoires pour qu’on puisse assumer nos responsabilités. Quand la Bretagne, ou la Corse, ou des territoires ultramarins parlent d’autonomie, tout de suite on a peur. Effectivement, à l’inverse, quand Valérie Pécresse fait dans son hémicycle régional un vœu pour l’autonomie de l’Île-de-France, personne ne fait un titre alarmiste.
Nous sommes ensemble pour l’avenir de ce pays. Je crois sincèrement qu’un État fort, puissant, régalien, qui assume ses responsabilités, rassurera les concitoyens. À partir du moment où le quotidien, la vision d’avenir incarnée par les élus locaux s’assume pleinement. Dans la plénitude des compétences et avec les moyens qui permettent de réaliser des projets politiques.
PDE : Les enjeux numériques figurait aussi au programme de cette semaine chargée avec mardi, les premières Assises des Régions de France de l’IA et de la Cyber. Pourquoi était-ce important d’y consacrer un temps dédié ?
LCG : C’était indispensable d’avoir un temps dédié. Nous sommes dans un moment dangereux. Le pays fait face à des risques majeurs. Avec de nouveaux empires qui se muent, mais aussi avec un terrorisme qui est toujours là. Des gens qui ne veulent pas le bien, ni de la démocratie, ni de la liberté. Les collectivités doivent prendre leur part pour faire en sorte que ce pays puisse se défendre. La cybersécurité en fait partie. Les régions ont l’honneur de participer, aux côtés de l’ANSSI, à la protection de nos entreprises. À l’accompagnement des acteurs locaux pour protéger les systèmes informatiques, protéger nos données, donc protéger nos libertés. C’est cela, le combat dans lequel nous sommes engagés.




