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    Réseaux

    « La France est totalement souveraine dans le domaine des câbles sous-marins »

    À l’occasion des ateliers du Cercle CREDO organisés à Saint-Malo, Jean-Louis Le Roux, Executive Vice President International Networks d’Orange, a présenté l’univers méconnu mais vital des câbles sous-marins. Ces infrastructures, dont l’histoire française remonte à 150 ans, représentent aujourd’hui un enjeu de souveraineté majeur. Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes et de soupçons de sabotages, le dirigeant d’Orange International Networks fait le point sur les défis techniques, économiques et sécuritaires de ces « autoroutes numériques » des océans.

    Paroles d’élus : Pourquoi les câbles sous-marins sont-ils si cruciaux pour notre économie numérique ?

    Jean-Louis Le Roux : Les câbles sous-marins transportent plus de 95% du trafic Internet mondial. Quand vous consultez Instagram ou utilisez WhatsApp, vos données transitent très probablement par ces infrastructures. Les data centers de Meta sont majoritairement concentrés aux États-Unis. Un utilisateur français va donc chercher ses données à l’international via nos câbles. L’enjeu économique est considérable : 10 000 milliards de dollars sont échangés quotidiennement sur ces réseaux. 

    Paroles d’élus : La France occupe-t-elle une position particulière dans ce secteur stratégique ?

    Jean-Louis Le Roux : La France est totalement souveraine technologiquement dans ce domaine. Nous sommes numéro un en Europe avec une cinquantaine de câbles sous-marins. Nous possédons 12 navires câbliers, soit plus de 20% de la flotte mondiale sous pavillon français. Sept navires appartiennent à Orange Marine, cinq à Alcatel Submarine Networks. Nous maîtrisons toutes les technologies. ASN, rachetée par l’État il y a un an, fabrique les systèmes de transmission. Cette autonomie nous permet de déployer rapidement de nouvelles capacités. Pendant la crise Covid, le trafic transatlantique a doublé en quelques semaines. Nous avons su réagir.

    Paroles d’élus : Comment ces infrastructures ont-elles évolué technologiquement ?

    Jean-Louis Le Roux : L’histoire commence en Bretagne il y a 150 ans. Le premier câble transatlantique français reliait Loc-Maria-Plouzané à Cap Cod en 1869. L’évolution est remarquable : nous transportions 20 mots par minute à l’époque du télégraphe, soit 40 bits par seconde. Aujourd’hui, nos câbles atteignent 400 térabits par seconde. Nous allons 10 000 milliards de fois plus vite ! La rupture technologique majeure date de 1988 avec l’arrivée de la fibre optique. Auparavant, nous utilisions la technologie coaxiale depuis 1958.

    Paroles d’élus : Quels sont les principaux risques qui pèsent sur ces infrastructures vitales ? Comment répondez-vous à ces menaces sécuritaires croissantes ?

    Jean-Louis Le Roux : Nous recensons environ 200 pannes par an. Les causes principales sont géologiques : tremblements de terre, glissements de terrain. L’activité maritime près des côtes cause aussi des dégâts : ancres et chaluts endommagent régulièrement les câbles. Le troisième risque concerne les attaques physiques. L’an dernier, nous soupçonnons cinq cas de sabotage sur 200 pannes. C’est moins de 3%, mais il faut traiter cette menace. Les saboteurs utilisent des ancres traînantes pour couper les câbles intentionnellement.

    Notre stratégie repose sur la multiplication des routes. Nos réseaux sont dimensionnés pour supporter ces 200 coupures annuelles, donc ces 5 sabotages présumés ne sont pas impactant. Quand un câble tombe, le protocole IP détecte automatiquement la panne et reroute le trafic. Le client ne s’aperçoit de rien. Nous travaillons étroitement avec la Marine nationale en partageant nos tracés pour faciliter leur surveillance. Pour l’instant, les sabotages présumés relèvent de la guerre psychologique sans impact réel sur nos services.

    Paroles d’élus : Certaines zones géographiques sont-elles particulièrement sensibles ?

    Jean-Louis Le Roux : Plusieurs zones posent problème. La mer Baltique dans le contexte de guerre hybride avec la Russie : cinq coupures intentionnelles suspectées cette année. La mer Rouge est stratégique car tous les câbles Asie-Europe y passent, mais les interventions sont dangereuses. Pirates somaliens et attaques des Houthis yéménites compliquent les réparations. La mer de Chine connaît des tensions sino-taïwanaises. Face aux difficultés yéménites, nous construisons un contournement terrestre via Barhein et l’Arabie Saoudite. Plus coûteux mais plus sûr.

    Paroles d’élus : Comment conciliez-vous développement technologique et protection environnementale ? Quels sont les projets d’avenir d’Orange dans ce secteur stratégique ?

    Jean-Louis Le Roux : La protection des fonds marins est prioritaire. Nous utilisons des forages horizontaux pour éviter d’impacter les littoraux. Nous ancrons les câbles au sol pour éviter les frottements sur les herbiers de posidonie. Parfois nous contournons certains écosystèmes. En fin de vie, après 20 à 30 ans, nous retirons les câbles avec recyclage complet. Quand les coraux colonisent les câbles, nous négocions avec les autorités. Nous laissons parfois les sections colonisées et ne retirons que les extrémités.

    Nous travaillons sur plusieurs projets majeurs. Le câble Medusa va raccorder tous les pays méditerranéens. Le SMW6 reliera Singapour à Marseille. 2Africa deviendra le câble le plus long du monde : près de 40 000 kilomètres pour le tour complet de l’Afrique. Ces investissements représentent par exemple 200 à 300 millions d’euros pour un câble transatlantique. Nous créons des consortiums avec d’autres opérateurs et les géants du numérique. La Commission européenne nous subventionne pour les câbles souverains européens. L’avenir nécessitera de nouveaux navires : nous étudions l’ajout d’un huitième navire à notre flotte.

     

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