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    ENTRETIEN EXCLUSIF – Jean-Louis Borloo : “le logement n’est pas une dépense passive, c’est créateur de bonheur et donc d’efficacité économique”

    Pour Paroles d’élus, Jean-Louis Borloo, ancien ministre du Logement, revient, non sans franc-parler, sur les causes de la crise du logement en France, qu’il qualifie de « sociologique » et « sociopolitique ». Lors de l’événement « Les villes, les quartiers, cœurs de la République » à Épinay-sous-Sénart en mars, Borloo a mis en garde contre la bureaucratisation de l’ANRU et appelé à une intervention rapide du gouvernement pour préserver les aides au logement et soutenir les acteurs locaux. L’enjeu ? Simplifier les procédures et redonner aux élus et décideurs politiques le pouvoir d’agir concrètement pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers.

    D’autres initiatives locales à retrouver dans votre dossier Logement : Comment sortir de la crise ?

    Paroles d’élus : Quel est votre regard sur la crise du logement, ou plutôt sur ces crises du logement, car il y en a plusieurs ?

    Jean-Louis Borloo : Il ne s’agit pas uniquement d’une crise de l’offre. Elle est avant tout une crise sociologique. Et l’État en porte une part significative. Ceux que l’on appelle aujourd’hui “l’inspection”, “la finance”, ou encore “la culture du contrôle du travail des autres”, sont composés de personnes intelligentes et de bonne foi, mais leur vision est très dangereuse. Ils n’ont pas une perspective croisée, ils sont certains que les grands flux financiers et les technologies sont plus importants pour l’avenir que le logement, l’habitat, ou les lieux d’éducation des enfants. On peut écouter ce qu’ils disent, mais ils ne peuvent pas avoir raison sur tout.

    Les « sachants », ces « fermiers généraux », ne sont pas confrontés à ce problème, ni de près ni de loin. Ils ont donc beaucoup de mal à comprendre et à entendre. Pour eux, c’est une dépense passive, non créatrice de richesse. Mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que c’est créateur de bonheur et donc d’efficacité économique. C’est une création de richesse indirecte, mais indispensable. C’est donc bien un problème sociopolitique.

    Paroles d’élus : Lors de votre intervention lors de l’événement « Les villes, les quartiers, cœurs de la République » qui s’est tenu en mars à Épinay-sous-Sénart, vous avez mentionné aux élus de faire attention à l’avenir d’outils comme l’ANRU. Quel message vouliez-vous transmettre ?

    Jean-Louis Borloo : L’ANRU est un très bon exemple de mes propos précédents. Elle est devenue une machine administrative qui valide des dossiers. Mais en réalité, il n’y a rien à valider. L’ANRU devrait s’assurer que tout le monde respecte ses engagements. Ce n’est pas une validation urbaine, mais un bureau de coordination. C’est un bureau amical pour que toutes les forces vives travaillent ensemble. C’est devenu une administration, et je ne remets pas en cause la directrice générale de l’ANRU ni ses équipes. Mais Bercy a décidé malheureusement de prendre quasi le contrôle du conseil d’administration. L’ANRU doit redevenir ce qu’elle était : un bureau de soutien.

    Paroles d’élus : Vous avez évoqué la nécessité d’une aide immédiate d’Éric Lombard ou du Premier ministre. Pouvez-vous préciser ce que vous attendez concrètement de leur part ?

    Jean-Louis Borloo : Ce que j’attends, c’est une intervention rapide et décisive pour empêcher que les aides au logement ne soient absorbées par le budget de l’État. Il faut que ces aides restent gérées par les partenaires locaux, qui connaissent mieux les besoins spécifiques de leurs territoires. Une note de l’INSEE a déjà souligné les risques de cette centralisation. Nous devons préserver des outils comme Action Logement et la rénovation urbaine, qui sont essentiels pour la jeunesse et les familles en France.

    Paroles d’élus : Vous avez parlé de « fermiers généraux » et de leur impact sur la gestion du logement social. Pouvez-vous nous en dire plus ?

    Jean-Louis Borloo : Depuis des années, Bercy a détourné des milliards d’euros initialement destinés au logement social. Ces fonds auraient pu être utilisés pour construire des logements, rénover des quartiers, et améliorer les conditions de vie de nombreuses familles. Au lieu de cela, ils ont été réaffectés à d’autres priorités budgétaires. Les conséquences sont dramatiques : des projets de rénovation urbaine sont retardés ou annulés, et les besoins en logements sociaux ne sont pas satisfaits. C’est une situation intenable qui nécessite une réaction urgente. Il est crucial de simplifier les procédures et de revenir à l’essentiel.

    Les processus administratifs actuels sont souvent trop lourds et ralentissent les projets. Par exemple, le processus de l’ANRU 2 a été mis en place pour des raisons de contrôle, mais il a finalement bloqué les initiatives pendant quatre ans. Il faut supprimer ces obstacles et permettre aux acteurs de terrain de travailler plus efficacement. Le conseil d’administration de l’ANRU doit devenir un organe de bienveillance, exclusivement dédié à soutenir les acteurs locaux, plutôt qu’une instance de contrôle.

    Paroles d’élus : Quel message souhaitez-vous adresser aux élus et aux décideurs politiques ?

    Jean-Louis Borloo : Mon message est clair : il faut agir maintenant. La crise du logement est une réalité complexe et multiforme, mais nous pouvons la surmonter si nous prenons les bonnes décisions. Il est essentiel de revenir à l’essentiel, de simplifier les procédures, et de soutenir les acteurs de terrain. Les élus et les décideurs politiques doivent prendre conscience de l’urgence de la situation et agir en conséquence. Il en va de l’avenir de nos quartiers, de nos familles, et de notre société tout entière.

    D’autres initiatives locales à retrouver dans votre dossier Logement : Comment sortir de la crise ?