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    David Lisnard : « La France ne s’en sortira que par la Liberté »

    Lors du 107ème Congrès des Maires à la porte de Versailles, David Lisnard, Maire de Cannes et Président de l’Association des Maires de France, a accordé une interview à Paroles d’élus. Entre innovation numérique et défense des libertés locales, le président de l’AMF livre sa vision d’une France communale moderne, confrontée aux défis de la technocratie et de la souveraineté numérique.

     

    Paroles d’élus : Dans votre discours hier, vous avez dit que ce salon allait du terroir à l’IA. Que vouliez-vous dire exactement ?

    David Lisnard : J’ai voulu, avec cette formule, montrer que la commune, c’était ça. C’était à la fois la permanence d’une France réelle, physique, incarnée, mais c’était aussi une terre d’innovation. On va du terrain, avec le grand banquet des terroirs de France, aux grandes tables rondes sur l’IA et la crypto qui ont formidablement marché. Il faut sortir des clichés parisiens. Dans les communes rurales — c’est l’immense majorité des communes françaises — on n’est pas que dans le folklore.

    Les maires des villages sont aussi agriculteurs, agents d’assurance, avocats, fonctionnaires, employés de société. Ils utilisent l’IA, ils utilisent ces technologies. Les maires sont dans le XXIe siècle. Ils sont bien plus modernes que tous ceux qui nous font des schémas directeurs qui viennent d’en haut et qui, finalement, ne comprennent rien à la réalité humaine.

    Paroles d’élus : Un mot sur le mot d’ordre de ce congrès qui est « liberté ». Ce n’est pas un vent de révolte. Les élus sont toujours là, ils ont été là pour les gilets jaunes, lors du Covid. Ils ne sont pas rancuniers ?

    David Lisnard : Les élus sont des Français loyaux. On est loyaux avec l’État. On est loyaux vis-à-vis de nos missions. Il y a des bons élus, il y a des mauvais élus, comme partout. Mais regardez : l’immense majorité des maires et des communes sont très bien gérées. Malgré les contraintes et les pillages sur nos finances par l’État, on arrive à être à l’équilibre.

    Mais la loyauté, elle a une condition. Pour être loyal, il faut pouvoir choisir de l’être. Donc, il faut être libre. Et la liberté, si on l’a affichée en grand cette fois, c’est parce que c’est ce qui nous manque le plus aujourd’hui. Or, c’est essentiel, parce que cette liberté, c’est le gage de l’efficacité. L’efficacité n’existe que dans la liberté et la responsabilité.

    Ce n’est pas pour parler de principe simplement. Quand on ne peut plus s’opposer à une éolienne sur notre commune parce qu’on nous a enlevé la liberté d’urbanisme, mais qu’on ne peut pas imposer un panneau solaire sur le toit de la mairie parce que l’ABF s’y oppose… C’est la démocratie qui recule et c’est l’efficacité qui recule. Quand, pour faire un bâtiment, il nous faut un an ou un an et demi de plus qu’avant, non pas en travaux, mais en procédures administratives, c’est la liberté qui recule. C’est le contribuable qui est pénalisé parce que ça coûte de plus en plus cher. C’est l’usager qui est entravé. La France ne sortira que par la liberté.

    Paroles d’élus : L’époque est faite de mots un peu tarte à la crème comme « territoire ». Hier, vous avez dit qu’on utilise de plus en plus le mot « territoire » au pluriel. Quel est votre regard sur ce mot ?

    David Lisnard : Toute époque a ses effets de langage. J’ai constaté qu’on nous mettait partout de la transition et du territoire. Et que le territoire, c’est mieux au pluriel. Je trouve que c’est très révélateur. C’est une technocratisation de la province. On n’ose plus dire province, on n’ose plus dire localité, on n’ose plus dire commune.

    Ce pluriel, là où avant on disait « le territoire français », finalement, il n’est pas que technocratique. Il est aussi révélateur de l’éclatement de la société française, de la fragmentation, de l’archipélisation dont parle Jérôme Fourquet. Moi, je suis attaché au territoire français qui est fait de la diversité de ses provinces.

    Paroles d’élus : Sur l’IA, vous êtes un des élus les plus engagés sur cette thématique. La France a-t-elle encore sa carte à jouer ?

    David Lisnard : Pour l’instant, on est la colonie numérique de la Chine et des États-Unis. C’est une réalité. Pas que la France, l’Europe. Malgré de super boîtes, de super start-ups, des belles PME et parfois des licornes dont Mistral, on n’a pas une société dans les 50 plus grandes sociétés liées à l’IA au niveau mondial. Voilà, c’est la réalité. Si on ne réussit pas à organiser les investissements, la recherche, à passer du stade prototype de la start-up à la grande entreprise… C’est là qu’il faut aller maintenant : sur la quantique à fond, mais pas en faisant du saupoudrage. Vous vous rendez compte que dans France 2030, ce n’est même pas un crédit IA spécifique. C’est saupoudré parmi d’autres.

    Paroles d’élus : Que pensez-vous de la stratégie européenne sur l’IA ?

    David Lisnard : Si on n’a pas une stratégie française et européenne, nous serons définitivement relégués dans le tiers-monde du XXIe siècle. Il faut dire les choses. On sait l’utiliser, localement on l’utilise beaucoup, on est très proactifs en la matière. Mais il nous faut des entreprises françaises qui produisent. L’Europe ne peut pas se contenter de se féliciter d’avoir été la première à réguler l’IA. C’est comme si on avait inventé le code de la route, mais qu’on était incapable de construire des automobiles. Maintenant, on est au XXIe siècle. C’est bien d’avoir fait le code de la route de l’IA, mais il faut qu’on ait nos producteurs d’automobiles de l’IA. C’est indispensable.