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    Constance Nebbula : « L’intelligence artificielle, c’est un sujet politique, pas seulement technique »

    Reçue sur le studio Paroles d’élus lors du 107ème Congrès des Maires à Paris, Constance Nebbula, vice-présidente de la région Pays de la Loire en charge du numérique et de l’IA et présidente d’Open Data France, revient sur les premières Assises de l’IA et de la cybersécurité organisées par Régions de France au Campus Cyber. Entre gouvernance de la donnée, souveraineté numérique et urgence de la formation, l’élue livre sa vision d’une appropriation territoriale de ces enjeux stratégiques et appelle à une mobilisation collective des collectivités.

     

    Paroles d’élus : Quelles sont vos impressions sur ces premières Assises de l’IA et de la cybersécurité ?

    Constance Nebbula : Il faut savoir que cet événement a été organisé à l’initiative de Régions de France, qui est une association qui réunit les différentes régions de France. Et au sein de Régions de France, on a créé il y a seulement un an et demi une sorte de comité, de commission qui réunit les élus en charge des sujets numériques dans les régions. C’est assez innovant, assez unique. Ça nous permet de dialoguer et d’échanger.

    Et assez rapidement, on s’est rendu compte que l’intelligence artificielle, la cybersécurité méritaient d’être traitées séparément des autres sujets, pas simplement par le biais économique ou par le biais de l’innovation. Donc on a senti un intérêt politique et d’avoir des réponses aussi de la part notamment de l’État, des forces en présence. Donc on a monté cet événement au Campus Cyber qui est aussi un symbole assez fort, le campus cyber national qui nous a accueillis.

    Nous avons invité la ministre en charge du numérique, on a invité l’ANSSI, on avait bien entendu le président du Campus Cyber, on avait bien entendu le Conseil national du numérique et de l’intelligence artificielle, bref les parties prenantes de l’IA et du cyber pour faire le lien avec les élus, faire le lien avec les acteurs et puis effectivement dans un contexte un petit peu mouvant politiquement, d’avoir des réponses sur ces sujets qui nous concernent beaucoup au quotidien.

    Paroles d’élus : Vous affirmez qu’il n’y a pas d’IA solide sans une donnée publique bien gouvernée. Qu’entendez-vous par là ?

    Constance Nebbula : C’est quelque chose que j’évoque souvent : il n’y a pas d’IA sans data et on va même parfois jusqu’à plus loin, il n’y a pas de data sans infra. Ça veut dire que quand on parle d’intelligence artificielle, on ne doit pas simplement parler de ce qui fait bien, entre guillemets, l’intelligence artificielle générative, les chatbots et des grands géants américains que l’on ne cite plus.

    Mais comment est-ce qu’on peut, pour penser global et en l’occurrence pour l’intelligence artificielle, nourrir l’IA ? Il faut lui donner de l’information pour qu’elle soit pertinente, réactive, non biaisée, qu’elle n’hallucine pas et pour cela il faut l’alimenter en données. Les collectivités, toutes les collectivités maîtrisent leurs données, consomment de la donnée, produisent de la donnée, partagent de la donnée, ouvrent leurs données. Et donc ces données-là, ces données publiques, cette donnée comme bien commun est une alimentation pour nourrir une IA, une intelligence artificielle à la française, à l’européenne qui serait selon nos biais, nos volontés et la plus neutre possible.

    Paroles d’élus : L’Europe et la France peuvent-elles encore rattraper leur retard face aux États-Unis et à la Chine ?

    Constance Nebbula : Alors plus que des sujets de concurrence, c’est presque des sujets géopolitiques. On a aujourd’hui une sorte de triptyque, effectivement, avec un jeu entre les États-Unis et la Chine d’un côté, qui ont chacun développé des modèles d’IA, je dirais, selon leur mode culturel, à leur sauce, avec leurs biais et avec leurs propres techniques.

    Et au milieu, on a l’Europe, qui a commencé par réglementer pour définir un cadre, avec l’IA Act notamment, en classant les IA par niveau de risque. Et puis désormais, il faut passer le stade supérieur : c’est l’appropriation. C’est notamment comment est-ce qu’on fait, puisqu’on est aujourd’hui au salon des collectivités, comment les collectivités publiques se saisissent de l’impact de l’intelligence artificielle, mais pas seulement l’outil, mais bien l’impact global, de la gestion de la donnée, de l’infrastructure, ça veut dire l’hébergement, le stockage, la question souveraine également autour de tout ça, de l’hébergement des données, et puis la cybersécurité, parce que plus on a de data, plus on a d’IA, plus on aura des questions de cybersécurité.

    Paroles d’élus : Pourquoi dites-vous que sans stratégie de data interne, l’IA ne sert à rien ?

    Constance Nebbula : Ça veut dire que l’IA posée là, faire un chatbot pour faire un chatbot, faire une IA générative pour faire une IA générative pour avoir l’effet waouh, n’a pas d’intérêt si vous n’avez pas une stratégie au niveau de la collectivité, notamment une gouvernance. Donc une projection aussi et de définir des cadres.

    Quelles données j’utilise ? Pourquoi faire ? Est-ce que je les ouvre ? Avec qui ? Est-ce que je partage avec le privé ? Quelle gouvernance interne dans la collectivité ? Est-ce que j’ai des missions et des compétences et des métiers nouveaux au sein de ma collectivité ? Si oui, est-ce que je dois recruter ? Est-ce qu’il y a une direction data, une direction IA ? Toutes ces questions-là, elles commencent à pointer dans les collectivités depuis, on va dire, 2-3 ans. Et elles sont nécessaires dans un monde en mutation avec l’intelligence artificielle, d’avoir cette stratégie, cette gouvernance qui est ce que j’appelle une doctrine des collectivités pour la gestion de la donnée.

    Paroles d’élus : Comment la région Pays de la Loire déploie-t-elle concrètement l’intelligence artificielle ?

    Constance Nebbula : Sur le déploiement notamment de l’intelligence artificielle, on a fait le choix d’avoir deux volets. Il y a un volet interne et un volet externe.

    Le volet interne, ça veut dire comment est-ce qu’on utilise l’IA dans notre collectivité, pour nos agents, pour nos élus, pour le service public, pour optimiser nos services. Là, on a commencé début juin, donc c’est assez récent comme dynamique, en travaillant avec les différents services de la région pour connaître leur cas d’usage. En gros, ça veut dire de quoi vous auriez besoin et sur quoi l’IA peut être une réponse. Des fois, elle n’est pas une réponse.

    Ça ne sert à rien de faire de l’IA pour de l’IA. Et donc, on a créé un portail interne qui s’appelle IGERIA et qui comprend aujourd’hui six agents conversationnels développés avec une startup nantaise, donc locale, en open source, qui sont aujourd’hui déjà testés par les agents de la collectivité régionale. Ça aide à construire un plan, une stratégie, ça aide à faire des recherches dans les archives, ça aide à traduire, à faire des recherches documentaires, etc. Ce sont eux qui ont défini les cas d’usage.

    Paroles d’élus : Vous avez aussi créé une fabrique territoriale de l’IA…

    Constance Nebbula : Oui, nous voulions proposer des solutions d’IA quasi clés en main, négociées et sélectionnées de manière qualitative. Pour les acteurs publics de la région . Les collectivités, les hôpitaux, les universités, les SDIS, etc., je dirais de garant et de tiers de confiance.

    Et puis du côté externe, notre compétence régionale c’est le développement économique. Donc comment est-ce qu’on fait pour déployer des politiques publiques qui intègrent l’IA auprès de nos acteurs économiques et notamment nos TPE, PME ? Comment on fait pour en faire un vecteur d’innovation ? Comment est-ce qu’on fait pour accélérer la transition numérique des entreprises ? Et comment on fait pour attirer des entreprises sur le territoire régional et qu’elles créent de la valeur sur notre territoire national ? Donc vous voyez qu’il y a deux volets, l’externe et l’interne, qui fait qu’on a une vision assez 360 de notre action en matière d’IA.

    Paroles d’élus : Quel message adressez-vous aux élus locaux à quelques mois des élections municipales ?

    Constance Nebbula : Ce qui m’a intéressée, ce qui m’a rassurée, ce sont les différentes prises de parole étatiques sur le fait qu’on partage tous le constat qu’on a un manque de moyens et qu’on a un manque de maturité et qu’on a un manque de compétences. La ministre s’est engagée à renforcer le dialogue État-région sur les sujets d’IA et de cyber, ce qui me convient très bien puisqu’on a peur aujourd’hui d’avoir l’État qui joue un peu solo, c’est souvent le débat, et avance sans parfois concerter les collectivités alors qu’on est au plus proche du terrain.

    Mais j’adresse aussi un message auprès des élus qui potentiellement nous regardent : ce n’est pas un sujet technique, ce n’est pas uniquement le sujet des agents, l’IA ou la cyber, c’est aussi un sujet politique, c’est surtout un sujet politique. Donc comment est-ce qu’on fait, notamment dans le cas des élections municipales qui sont dans quatre mois, pour intéresser les élus, les maires, à se saisir de ces sujets de cyber et d’IA pour l’intégrer potentiellement dans leur programme municipal, de mettre des budgets, de mettre des moyens, de poser des stratégies ?

    Et encore une fois, on est dans un enjeu qui n’est pas le sujet simplement français ou européen, on est dans un sujet mondial, et il faut pas qu’on soit à la traîne. Et les collectivités sont aux avant-postes sur ces sujets-là et peut-être encore une fois dans les mois qui viennent, on sera toujours, je dirais, aux avant-postes et en avance par rapport à d’autres secteurs.