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    Au congrès de l’AMRF avec… Fanny Lacroix : « Partir du terrain pour construire la pensée politique »

    Fanny Lacroix est maire de Châtel-en-Trièves. Vice-présidente de l’AMRF, elle pilote le Grand Atelier, un dispositif national qui fait émerger une vision rurale de la transition écologique. Dans sa commune de 500 habitants, elle expérimente une gouvernance participative où les citoyens inventent leurs propres services. Portrait d’une élue qui inverse les circuits traditionnels de la décision publique.

    Paroles d’élus : Fanny Lacroix, vous êtes à l’origine du Grand Atelier. Pouvez-vous nous présenter ce dispositif ?

    Fanny Lacroix : Le Grand Atelier est un dispositif que nous avons monté en 2023 au sein de l’Association des maires ruraux de France. L’objectif était de faire émerger une vision rurale de la transition écologique. En discutant avec mes collègues, nous nous sommes rendu compte que le discours national était assez technique, parfois complexe, et surtout teinté d’une approche urbaine. Il fallait donc faire remonter nos préoccupations spécifiques.

    Pour cela, nous avons construit un dispositif méthodologique robuste inspiré de la Convention citoyenne pour le climat. Concrètement, nous avons recruté 100 maires volontaires un peu partout en France, reflétant la diversité territoriale de notre pays.

    Paroles d’élus : Comment s’est organisé ce travail collectif ?

    Fanny Lacroix : Nous nous sommes rassemblés pendant 4 week-ends. Les experts du GIEC, comme Valérie Masson-Delmotte, sont venus à notre rencontre pour nous transmettre les connaissances scientifiques. Nous avons également appris des expériences de terrain en repérant ce que nous appelons les pépites : des actions exceptionnelles portées par des maires ruraux. Ces élus remarquables sont venus témoigner. Dans un travail d’intelligence collective, nous avons ensuite essayé à 100, malgré toutes nos diversités, de construire une stratégie commune.

    Paroles d’élus : Quelle stratégie avez-vous adoptée ?

    Fanny Lacroix : Au congrès de 2023 à l’Alpe d’Huez, une feuille de route et une vision politique ont été adoptées par l’ensemble du conseil d’administration. Maintenant, nous sommes entrés dans la phase de mise en œuvre. Je dis toujours que le Grand Atelier repose sur deux piliers.

    Le pilier national, d’abord, avec les 100 élus qui continuent à réfléchir, à se rencontrer et à produire de la pensée politique à partir des expérimentations de terrain. Ces élus choisissent eux-mêmes leurs sujets de travail. Par exemple, nous avons exploré cette question : comment, une fois convaincu, embarque-t-on le territoire sans se faire corneriser ? Beaucoup d’élus porteurs de changements écologiques n’arrivent pas à emmener tout le monde. Nous avons donc travaillé avec des anthropologues et des sociologues sur la question du changement.

    Paroles d’élus : Vous avez également abordé la question des communs ?

    Fanny Lacroix : Oui, autre sujet essentiel : les communs. Ils étaient vraiment inhérents aux territoires ruraux. C’était notre manière de faire, comme nous n’avions pas beaucoup de moyens. Les habitants eux-mêmes s’occupaient des sentiers, des alpages. Comment retrouver, par ces communs, de nouveaux modes de gouvernance pour mieux penser les enjeux de la forêt, de l’eau ? Cette réflexion vient interroger nos pratiques de gouvernance.

    Le deuxième pilier du Grand Atelier, c’est sa territorialisation. Aujourd’hui, 11 départements pilotes, portés par des membres actifs, déclinent des opérations de sensibilisation, de formation et de connexion des initiatives pour avancer encore plus vite ensemble.

    Paroles d’élus : Revenons à Châtel-en-Trièves. Quel était l’état de votre commune quand vous êtes arrivée ?

    Fanny Lacroix : Châtel-en-Trièves a vécu la désertification il y a quelques dizaines d’années, avec un pic dans les années 75. Nous avons tout perdu : plus de commerce, plus de restaurants, plus de lieux de vie, jusqu’à perdre notre école. Il y a eu un sursaut citoyen pour affirmer notre volonté de rester une commune forte et vivante. Pour cela, les citoyens se sont mis au travail. Nous avons créé une commune nouvelle d’abord pour sauver l’école.

    Paroles d’élus : Comment les habitants se sont-ils mobilisés ?

    Fanny Lacroix : Notre école primaire accueille une classe unique qui rassemble une vingtaine d’enfants. Les citoyens ont réfléchi à la construction de leur village rêvé. Ce sont eux-mêmes qui se sont retroussé les manches. Nous les avons aidés à faire émerger des services. Ils ont voulu, par exemple, créer un café épicerie associatif dans un local communal. Il y a aussi des jardins partagés. Nous avons défini, sur les deux villages regroupés, un espace en plein centre-bourg d’environ 3 hectares où les habitants sont libres d’expérimenter ensemble de nouvelles formes de services.

    Cela prend des formes variées : jardins partagés, café épicerie associatif, temps d’activité périscolaire pour les enfants, salon de coiffure, cantine ouverte à la population, festivals pendant l’été, aire de loisirs construite avec les enfants. Tout un ensemble de projets ont émergé pour les habitants. Aujourd’hui, le village va bien et est très dynamique.

    Paroles d’élus : Quel projet vous tient particulièrement à cœur ?

    Fanny Lacroix : Le projet de cantine ouverte à toute la population. Comme nous n’avions plus de table pour manger ensemble à Châtel-en-Trièves, nous avons d’abord réussi à sauver notre école. Puis nous nous sommes dit : tous les jours, 20 enfants mangent à l’école. Partons de là pour offrir une politique de sécurité alimentaire à l’ensemble de la population.

    Pour cela, nous avons ouvert une cuisine centrale. Nous avons trouvé un porteur de projet qui fait de la restauration collective en s’approvisionnant le plus possible auprès des producteurs locaux. Tout est fait maison.

    Nous avons réhabilité une ancienne école fermée pour accueillir cette cantine. Aujourd’hui, enfants et habitants se retrouvent le midi et mangent ensemble. Surtout, nous avons laissé la possibilité de faire des activités après le repas, car c’est le moment où l’on se retrouve. Il y a tout un bâtiment, la maison des habitants, où chacun peut ensuite faire du yoga, jouer aux cartes, ou se rassembler pour construire des solutions collectives.

    Paroles d’élus : Cette initiative répond aussi à des problématiques sociales ?

    Fanny Lacroix : Il y avait beaucoup de populations isolées, parfois en situation de dénutrition. Elles ne mangeaient pas correctement parce qu’elles étaient seules. Ouvrir la cantine à tous les habitants était une manière de répondre à cette problématique. Nous avons aussi mis en place un tarif pour les minima sociaux, pour les personnes qui gagnent vraiment peu d’argent. Aujourd’hui, elles peuvent manger une entrée-plat-dessert tous les jours à la cantine pour 6 euros.

    Paroles d’élus : Comment articulez-vous votre fonction locale et votre rôle au Grand Atelier ?

    Fanny Lacroix : Ce que j’adore dans ma fonction aujourd’hui, c’est d’être à la fois sur ma commune, au plus près des habitants. Mon village fait 500 habitants, donc nous nous connaissons tous. Je peux vraiment expérimenter plein de choses et me donner la possibilité et la liberté d’essayer de tout rendre possible, toutes les belles idées qui émergent.

    D’ailleurs, nous avons rebaptisé notre commune « Commune des possibles ». Dès qu’il y a un projet, nous allons tout de suite le considérer et essayer de mettre tout en œuvre pour qu’il puisse aboutir. Nous n’y arrivons pas à chaque fois, mais nous essayons.

    Ce qui est génial, c’est de pouvoir aussi avoir cette fonction à l’AMRF de dialogue avec mes collègues. D’essayer de construire de la pensée politique à partir du terrain et de l’expérience. Et de dialoguer avec les ministères.

    Paroles d’élus : Un mot sur votre expérience de maire en tant que femme ?

    Fanny Lacroix : Je veux dire aux femmes qu’elles ont toute leur place dans l’histoire qui s’invente à l’échelle des communes. Je veux leur dire que ce n’est pas facile tous les jours. Je ne veux pas en faire un portrait trop optimiste. Il va falloir faire preuve de patience. Montrer peut-être encore plus sa compétence, parce qu’elles seront attendues au tournant. Il va falloir essayer de rentrer au cœur des organisations pour en changer le fonctionnement. Les rythmes des organisations ne nous correspondent pas.

    C’est pour cela que je leur conseille : ne visez pas la dernière place du conseil municipal, prenez la tête de vos communes. Parce que c’est vous qui fixerez les règles.

    Paroles d’élus : Concrètement, qu’est-ce que cela change ?

    Fanny Lacroix : Je suis mère et maire, et je suis mère solo, donc je dois élever mes enfants seule. Être la maire permet de revoir l’organisation municipale en profondeur et de permettre aussi l’accessibilité à toutes les autres, à tous les empêchés. Donc je dis aux femmes : allez-y, ça va être dur, mais c’est absolument essentiel. Parce que plus nous serons nombreuses, plus nous ferons changer le système. Derrière, ce sont tous les empêchés qui pourront rentrer dans l’institution. Notre pays en a énormément besoin. Nous avons un déficit de représentativité aujourd’hui qu’il faut absolument combattre.

    Paroles d’élus : Être femme change-t-il la prise de décision ?

    Fanny Lacroix : C’est un changement structurel qui vient interroger aussi les politiques publiques. Quand vous êtes une femme, vous pensez à des choses qui ne sont pas forcément pensées par le milieu politique, qui reste quand même majoritairement masculin. Par exemple, la façon dont mon village a évolué : nous prenons en compte la place des enfants au sein du village, alors que ce n’était pas trop le cas avant. Comment les familles peuvent-elles être là avec leurs enfants ? Comment les femmes peuvent-elles décrocher un petit peu de cette attention toujours portée aux enfants ?

    En construisant une vie totalement adaptée aux enfants où ils peuvent évoluer librement et en sécurité, cela change toute la manière de faire de la politique et aussi d’agir plus collectivement. Quand vous êtes une femme, vous avez beaucoup de charges, nous le savons. Nous ne pouvons pas faire les choses seules, donc nous les faisons avec tout le monde. Et de ce collectif aussi, je crois que nous avons tous besoin.