Avec Navi Radjou dans… »À Val de Garonne Agglomération, demain se décide aujourd’hui »
Il y a tout juste un an, Val de Garonne Agglomération organisait son premier Forum des transitions. Parmi les intervenants, Navi Radjou, chercheur et l’un des penseurs en management les plus influents au monde, avait tenu une masterclass intitulée Innovation frugale : optimiser les ressources pour un impact durable. À l’occasion de dernier épisode de Vendredi ou la Ville Durable, Paroles d’élus est allé à sa rencontre.
Paroles d’élus : Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure ?
Navi Radjou : Le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, et en particulier l’Agence Développement et Innovation (ADI), que je connais depuis maintenant douze ans, m’a mis en contact avec Jacques Bilirit, président de l’agglomération. Le courant est passé très vite, notamment parce que lui s’intéressait aux forums des transitions, au pluriel, ce qui m’a interpellé. Je suis Américain, Français et Indien, et je vis actuellement à New York, où la transition, qu’elle soit énergétique ou écologique, est un sujet très discuté, tout comme en France et en Europe. Le concept de « transitions » m’a rappelé l’initiative du maire Jean-François Caron à Loos-en-Gohelle, dans les Hauts-de-France, qui parle de « transition systémique », c’est-à-dire d’une transition comprenant plusieurs dimensions : économique, écologique, sociale, culturelle, industrielle, numérique et démocratique.
Paroles d’élus : Le Forum des Transitions a donc pour objectif de concilier écologie et économie ?
Navi Radjou : Il s’agit de concilier ces deux domaines sans créer de controverse. Personnellement, je ne suis pas un grand fan de la décroissance. En Val de Garonne, j’ai découvert une alternative : un juste milieu entre l’hyper-croissance prônée par le capitalisme et la décroissance défendue par certains écologistes. C’est un modèle modéré, que j’appelle parfois la voie du milieu, qui aspire à une croissance durable, inclusive et qui a du sens. Mon intervention au Forum visait à valider cette vision de l’agglomération, mais aussi à apporter un éclairage en m’appuyant sur des exemples de territoires en France et dans le monde qui s’engagent dans cette transition systémique.
Paroles d’élus : Comment faut-il vous présenter ? Vous êtes chercheur, c’est bien ça ?
Navi Radjou : Oui, je suis chercheur, mais plus précisément prospectiviste. Je tente de déceler des tendances de fond. Par exemple, mon prochain livre, qui s’intitulera « Économie frugale« , montre que l’économie d’aujourd’hui est déjà dépassée. Je m’efforce donc d’envisager quels seront les modèles économiques et sociétaux en 2040, voire 2050.
Paroles d’élus : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’innovation frugale ?
Navi Radjou : L’innovation frugale consiste à faire mieux avec moins, en répondant aux urgences sociales et écologiques en utilisant un minimum de ressources. À Val de Garonne, par exemple, on a converti des friches industrielles en raison de la sobriété foncière . On ne peut pas toujours construire sur des terrains vierges. Le premier principe de l’innovation frugale est donc de réutiliser l’existant. Ces friches industrielles peuvent être réhabilitées pour accueillir des activités innovantes, comme c’est le cas à Val de Garonne avec l’entreprise Cem’in’eu, qui fabrique du ciment décarboné.
Le deuxième principe est de s’associer avec d’autres. Durant la crise du Covid, on a vu émerger une sorte d’économie de partage dans les territoires. Pour moi, l’unité territoriale est le niveau idéal pour mener des actions climatiques. Les élus peuvent créer des réseaux et des plateformes de partage pour mutualiser les ressources et favoriser la diffusion des bonnes pratiques.
Enfin, le troisième principe, c’est de penser la transition au pluriel. Il est plus judicieux d’adopter une vision globale, une pensée systémique, qui permet de rationaliser les budgets tout en atteignant des objectifs variés. C’est aussi ça, l’innovation frugale : atteindre plusieurs objectifs avec un budget modeste.
Paroles d’élus : Vous avez mentionné le numérique, avec les plateformes d’échange. Comment percevez-vous le concept de « numérique responsable » ?
Navi Radjou : Je ne suis pas opposé à la technologie, au contraire. J’ai étudié l’informatique en France, et je crois en son potentiel. Mais la technologie est aujourd’hui souvent perçue comme une finalité en soi. Il y a une sorte d’obsession naïve, venue de la Silicon Valley, où l’on voit l’intelligence artificielle comme une panacée. Je combats cette vision, car elle dévalorise la créativité humaine. J’ai écrit sur le « jugaad », un mot indien qui exprime la débrouillardise, l’ingéniosité, et nous, en France, sommes bons dans ce domaine.
Il ne s’agit pas seulement de numérique responsable, mais d’utiliser le numérique de manière sage et judicieuse. Par exemple, la start-up française Carnot Computing a développé des radiateurs numériques. Ils décentralisent le traitement de données et récupèrent la chaleur produite par les processeurs pour chauffer des bâtiments. Ce modèle distribué est une alternative aux centres de données massifs, très énergivores. Je crois qu’on peut envisager un modèle de numérisation de notre société qui soit à la fois raisonnable sur le plan énergétique et porteur de progrès.