ENTRETIEN EXCLUSIF- Catherine Vautrin « un esprit de confiance, de respect et de responsabilité »
Les 2 et 3 octobre, plus de 200 élus, venant de toute la France, étaient à Sélestat, en région Grand Est pour le congrès annuel de l’association Villes de France. À cette occasion, Paroles d’élus a pu tendre le micro à Catherine Vautrin, Ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Paroles d’élus : Quels messages avez-vous voulu transmettre en participant au Congrès de Villes de France ?
Catherine Vautrin : Battre en faux tout d’abord de ce que j’ai pu entendre récemment sur la mauvaise gestion financière des Maires. Les élus locaux sont dans 99,9 % des cas de bons gestionnaires et ils méritent respect et écoute. Pour nous, c’est évidemment le postulat de départ. Une fois que cela est dit, on peut effectivement aborder la notion de la lisibilité des politiques publiques. Et j’y suis extrêmement attaché.
Les élus de Villes de France sont au quotidien dans la proximité, dans cette fameuse notion du bassin de vie, c’est-à-dire ce que nos concitoyens vivent au quotidien. Ce qu’ils perçoivent, c’est évidemment ce qu’est la ville-centre qu’ils fréquentent tous, que ce soit parce qu’ils habitent à côté en ruralité ou parce qu’ils se rendent vers ce pôle pour diverses raisons : activités sportives, culturelles ou professionnelles.
C’est cela qui fait la diversité des territoires de notre pays, et je le sais, étant élu d’une ville-centre, certes un peu plus grande — Reims. Je mesure et connais les charges de centralité liées aux équipements de nos villes, dont bénéficient tous les habitants du bassin de vie. D’où l’intérêt d’une complémentarité bien comprise avec l’intercommunalité, qui permet à chacun de porter un certain nombre d’équipements indispensables à la qualité de vie de nos concitoyens.
Paroles d’élus : Les élus craignent un nouveau “pacte de Cahors”. Le pays en prend-t-il le chemin ?
Catherine Vautrin : Sur la situation du pays, Monsieur le Premier ministre l’a rappelé lors de son discours de politique générale : nous avons, pour être précis, 3 228 milliards d’euros de dettes en France. C’est le montant de la dette publique, et cette dette doit être financée, car il s’agit d’emprunts placés sur les marchés. Le coût de la dette publique est de 51 milliards par an, c’est-à-dire que ces 51 milliards ne sont pas utilisés pour des politiques publiques, mais pour les frais financiers. C’est une somme astronomique, et elle est d’autant plus préoccupante qu’elle pourrait, à terme, selon le Premier ministre, affecter la souveraineté de notre pays. En effet, cette dette est placée sur des marchés, et il faut le dire, il devient plus difficile de trouver des acheteurs pour la dette française.
Cela constitue un problème relativement nouveau. Vous l’avez peut-être lu et entendu : nous aurons des renouvellements d’emprunts au début de l’année prochaine, et cela pourrait poser un véritable problème de financement de la dette française. Notre pays doit donc se reprendre, et cela signifie examiner l’ensemble de ses dépenses. Parmi celles-ci, il y a bien sûr les dépenses d’intervention qui permettent d’accompagner nos collectivités dans les démarches du quotidien pour nos concitoyens. Il y a également tout le sujet de la protection sociale, un enjeu majeur, puisque celle-ci représente plus de 600 milliards d’euros répartis sur les cinq branches de la sécurité sociale. La protection sociale repose exclusivement sur le travail, et cela représente déjà un défi immense.
Paroles d’élus : L’ère du “quoi qu’il en coûte” est-elle définitivement résolue ?
Catherine Vautrin : Le travail qui nous attend est en effet la résorption de cette dette. Les objectifs ont été avancés par le Premier ministre. Il s’agit de revenir à 5 % de déficit en 2025, et à 3 % en 2029. Si l’on compare avec d’autres pays, la dépense publique en Europe représente en moyenne 49 % de la richesse nationale. Tandis qu’en France, elle s’élève à 57 %. La question que nous devons nous poser collectivement est la suivante : est-ce que notre dépense publique génère un supplément de qualité qui justifie cette différence ? Honnêtement, je n’oserais pas être totalement positive sur ce sujet.
Paroles d’élus : Le souhait d’un grand acte de décentralisation est-il toujours d’actualité ?
Catherine Vautrin : Si nous voulons passer d’un État tuteur à un État partenaire, la question est d’abord de savoir comment discuter ensemble. Pour ce faire, plusieurs éléments sont nécessaires. D’abord, il faut se mettre d’accord sur le montant de la dette des collectivités, afin de partir d’un bilan partagé. Il ne s’agit pas que certains « sachants » aient la vérité d’un côté et que les autres soient là uniquement pour recevoir. Les élus savent comment gérer leurs comptes. J’en discutais il y a deux jours avec le directeur délégué de la Caisse des Dépôts. Nous sommes à peu près d’accord pour dire que la dette des collectivités représente environ 8 % de la dette publique. Ce qu’il faut observer, c’est ce que génèrent réellement les collectivités en termes d’emprunts pour des investissements. Ensuite, il y a des charges de fonctionnement supplémentaires qui sont souvent liées à des injonctions de l’État.
Prenons l’exemple de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires l’année dernière, qui a coûté 3 milliards d’euros. Bien sûr, il fallait revaloriser les salaires des fonctionnaires, mais cela a un impact direct sur les budgets locaux. Cela concerne également les catégories C, la prime pouvoir d’achat, etc. Le rapport de la Cour des comptes est très précis à ce sujet. Notre premier travail consiste donc à nous mettre d’accord sur le constat.
Paroles d’élus : Quels seront les prochaines étapes ?
Catherine Vautrin : Ensuite, il s’agit de réfléchir aux solutions. Il nous est demandé de travailler sur deux axes principaux. D’un côté, il y a la contractualisation entre l’État et les collectivités. Elle implique un chef d’orchestre, Laurent Saint-Martin, ministre des Comptes publics. Son rôle est de négocier les totaux avec tout le monde. D’un autre côté, il y a les dotations, comme la dotation globale de fonctionnement. Elles permettent aux collectivités de gérer l’administration territoriale. Nous en discuterons lors de la réunion du Comité des finances locales. Par ailleurs, les ministères ont chacun des lettres de mission. Elles précisent les plafonds budgétaires à ne pas dépasser, et nous devons nous concentrer sur les politiques publiques à accompagner.
Il faut également rappeler que nous sommes en année 5 du mandat municipal. Et que ce mandat a commencé avec du retard en raison de la Covid. Cela a ralenti la mise en œuvre des projets municipaux. De nombreux projets sont en cours de réalisation, et il sera essentiel de les honorer.
En résumé, nous avons de nombreuses équations à résoudre. Mon souhait est que nous soyons capables de le faire dans un esprit de confiance, de respect et de responsabilité. Cela n’est pas simple, mais si c’était facile, on ne serait pas venus nous chercher.