Femme de terrain #ES6 avec Christine Ebadi, co-dirigeante d’Holomea
Très heureux, comme à chaque fois, de vous retrouver pour un nouvel épisode de votre podcast Femme de terrain. En cette fin juin, nous allons à la rencontre d’une femme de terrain qui est aussi entrepreneuse. Christine Ebadi est en effet co-dirigeante de d’Holomea, une agence de conseil en transformation s’inspirant des principes du vivant.
Paroles d’élus : Quel a été votre parcours avant de fonder Holomea ?
Christine Ebadi : j’ai démarré dans le digital avec à la base, un profil plutôt ingénieur en informatique. Assez rapidement, je me suis retrouvée à faire des projets de transformation, à amener des nouvelles pratiques dans des grosses structures. Cela m’a amené à percevoir l’importance des organisations, la façon de fonctionner, comment on fait coopérer les personnes. Puis, j’ai rejoint une société de conseil après avoir beaucoup travaillé dans les grands groupes, ce qui m’a permis de voir beaucoup de clients différents, des pratiques communes, des pratiques différentes. En 2020, j’ai créé le projet Holomea, qui est devenu une structure officiellement en 2021.
Paroles d’élus : Quelles sont les particularités d’Holomea ?
Christine Ebadi : Nous accompagnons des projets de transformation et de transition, prenant en charge des enjeux écologiques, sociaux, environnementaux, aussi bien avec des collectivités, des entreprises, des associations que des écoles. Notre particularité, c’est que nous nous inspirons des principes du vivant. Pour cela, nous avons un partenariat avec un centre de recherche en écologie, le CREA Mont-Blanc, situé à Chamonix, où des écologues travaillent sur le fonctionnement des écosystèmes. Notre travail consiste à hybrider ces connaissances et les proposer dans nos modes de fonctionnement, car notre postulat est que nous avons besoin de faire évoluer nos modes de fonctionnement si nous voulons être capables de prendre en charge tous les enjeux de transition auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.
Paroles d’élus : Les personnes qui sollicitent Holomea ont-elles forcément l’envie de modifier leur comportement ?
Christine Ebadi : Ce n’est pas forcément comme ça que cela se passe. En général, nous intervenons car il y a un enjeu pratique ou concret : des difficultés à faire avancer ou valider des projets de transition. Nous allons vraiment plus rentrer dans le concret, le tangible, et cela nous amène à regarder comment on fonctionne. Il n’y a pas forcément une demande explicite, même si parfois nous recevons des demandes pour aider à coopérer différemment, intégrer les parties prenantes, faire fonctionner les équipes ensemble. Mais souvent, il y a un point de douleur, ce qui nous amène à regarder le fonctionnement. Parfois, on peut résoudre ce point de douleur avec des pratiques organisationnelles simples, changer un process, le mode de fonctionnement très concret. Mais souvent, nous allons chercher la cause qui fait que l’organisation génère certaines conséquences. Il y a un effet de causalité.
Paroles d’élus : Quand on dit « s’inspirer de la nature », on pense d’abord à Léonard de Vinci, à l’ingénieur, à la mécanique…
Christine Ebadi : Vous faites un détour par le biomimétisme. Léonard de Vinci est connu pour avoir observé les oiseaux et créé les premiers objets volants. En France, nous sommes assez impliqués dans le biomimétisme, avec une communauté importante qui a eu son salon la semaine dernière, la Biomim’ Expo au Parc Floral de Paris, fédérée par une structure appelée le CEEBIOS, le Centre d’Excellence sur le sujet.
Le biomimétisme se décline en trois aspects : biomimétisme de forme (s’inspirer des formes dans la nature pour fabriquer des objets), biomimétisme de matériaux (utiliser les procédés de la nature sur des matériaux, comme les toiles d’araignées), et biomimétisme de fonctionnement (s’inspirer du fonctionnement systémique de la nature). C’est ce dernier aspect, qui nous intéresse chez Holomea. Il consiste à observer comment le vivant fonctionne. Comment il réagit aux perturbations. Ou en core la manière dont il s’adapte à des changements climatiques, et continue de faire écosystème. Beaucoup d’écologues et de scientifiques ont identifié des principes de fonctionnement, comme la coopération qui fait émerger la vie. Or, nos organisations en 2024 ne sont pas prévues pour cela. Elles sont pensées pour être efficaces, productives, inspirées du monde industriel.
Notre travail consiste à encourager les organisations à penser leur fonctionnement de manière plus coopérative, en prenant en charge les contraintes des uns et des autres. Cela demande de connaître ces contraintes et de réajuster ses activités en conséquence. C’est un vrai sujet de dialogue collectif pour créer un écosystème, observer les signaux faibles, les marginalités, et construire une opinion collective pour fabriquer des projets collectifs.
Paroles d’élus : Avec quels critères jugez-vous que votre intervention a réussie ?
Christine Ebadi : Évidemment, ce n’est pas de la magie. Le projet peut rater ou ne pas atteindre ses résultats. Le premier critère est de réussir à faire dialoguer les personnes, à trouver des zones de cocréation. Nous faisons souvent les premiers petits pas pour enclencher des actions concrètes. Le projet peut évoluer, car aucun projet n’est exactement comme au début. Les résultats peuvent être différents, car il y a toujours une adaptabilité nécessaire.
Paroles d’élus : Peut-on avoir un exemple avec une collectivité ?
Christine Ebadi : Nous sommes par exemple membres d’une coopérative de transition basée à Saint-Nazaire. Nous avons rassemblé des acteurs très différents (agglo, mairie, techniciens de la ville, associations, entreprises, citoyens) pour faire émerger des projets de transition. Cela commence par reconstituer notre écosystème. C’est-à-dire donner à voir nos enjeux et difficultés. nous partons toujours d’un brief comme la gestion du compost ou des biodéchets. Cela permet à chaque acteur d’exprimer son point de vue et son approche. La coopération va plus loin que la simple coordination. Car elle implique de prendre en charge les contraintes des autres, ce qui est essentiel pour que le destin commun se réalise.
Paroles d’élus : Comment avez-vous connu le dispositif « Femmes entrepreneuses » ?
Christine Ebadi : Femme entrepreneuse, c’est presque une transition par rapport au collectif. Comment avez-vous connu Femme entrepreneuse ? J’ai rencontré Marie-Astrid Donders d’Orange sur un forum sur le Green Tech. Il rassemble les acteurs de l’éco-conception. J’ai candidaté et cela m’a apporté énormément. D’abord, il y a un groupe, un collectif de femmes, ce qui fait écho à ce que je viens de dire. On se sent moins seule. Nous avons du mentorat, avec des salariés d’Orange qui vous aident dans votre projet, vous challengent, vous font des mises en lien. Cela m’a beaucoup aidé et fait progresser. Et puis, il y a la visibilité apportée par Orange, un grand nom.
Paroles d’élus : Une question pour terminer sur le mot « résilience ». Est-ce que vous l’utilisez ?
Christine Ebadi : Moi, je préfère le terme « robustesse » proposé par le chercheur lyonnais Olivier Hamant. Notre sujet aujourd’hui est de devenir robuste, car nous avons commencé à subir des chocs. La robustesse signifie que notre organisation, qu’elle soit entreprise, association, ville, continue à fonctionner malgré tout. Elle est liée à la densité et à la qualité des liens, grâce à la coopération, qui permet de s’adapter.