[Entretien avec] François Léotard : « Notre pays a besoin de librairies tiers-lieux dans ses centres-bourgs »
On l’oublie parfois mais la France est le pays du livre. Preuve s’il en est, elle compte encore près de 3 000 points de vente pour environ 11 000 salariés. Malgré ce record mondial, difficile aujourd’hui d’être libraire. Les librairies sont en effet souvent les premières victimes de la désertification commerciale dans les villes moyennes. Convaincue du rôle qu’elles jouent dans la Cité, comme lieu d’accessibilité à la culture mais aussi de lieu de convivialité, l’association Athénée-Le Livre Vivant ne s’avoue pas vaincue. Créée à l’initiative de François Léotard, elle travaille au développement de librairies-Tiers Lieux dans les territoires ruraux. Pour en savoir plus, Paroles d’Elus est allé à la rencontre de l’ancien Ministre de la Culture, aujourd’hui Président de l’Association.
Paroles d’Elus – Pourquoi avoir fondé l’association Athénée-Le Livre Vivant ?
François Léotard – Je suis toujours frappé de voir la disparition d’un nombre important de librairies dans des endroits où pourtant on trouve des lecteurs. Et ce n’est pas seulement le seul fait d’Amazon. Pour différentes raisons, l’équilibre économique de la librairie, à part quelques belles exceptions, devient extrêmement délicat. Pour le dire autrement, économiquement parlant, c’est toujours plus intéressant de vendre des jeans que des livres.
Or, l’association Athénée-Le Livre Vivant vient d’une conviction que nous partageons avec Florence Berthout, Maire du 5ème arrondissement de Paris. Cette conviction, c’est que l’écriture est profondément liée en France à la librairie. Si un libraire se considère, et à juste titre, comme un commerçant, il est un peu différent des autres. C’est ce que reconnaît l’Unesco, le libraire crée quelque chose qui n’est pas entièrement soumis à la loi de la marchandise. Il est d’ailleurs toujours intéressant de se rappeler que l’expression même « d’avoir commerce avec quelqu’un », au XVIIème, voulait dire « discuter », « pouvoir parler ».
Si le point de départ est un problème de commerce privé, nous accompagnons les libraires dans leur transformation. Les évolutions démographiques et les nouvelles tendances de consommation ne condamnent pas forcément les commerces de proximité, mais elles exigent un profond renouveau de ceux-ci. Les librairies doivent devenir des librairies-Tiers-lieux. Elles attirent ainsi une clientèle qui n’achète pas forcément des livres, mais qui cherche à bénéficier, dans sa ville, d’un lieu de convivialité et de sociabilité où l’on peut passer un moment, voire quelques heures pour lire ou travailler dans un décor qui inspire. La librairie devient une expérience culturelle de proximité.
PdE- Comment fonctionne l’incubateur et votre association ?
FL- Grâce à l’incubateur de projets culturels, baptisé « Inventaire Développement »*, que nous avons créé avec Sabine Renault-Sablonière, nous pouvons soutenir des « Athénées ». Chacune d’entre elles est une association loi 1901 et œuvre pour une cause bien particulière. C’est le cas d’Athénée-Le Livre Vivant dont l’objectif est de préserver et de créer des librairies avec des financements privés. Nous avons tout d’abord répertorié, sous la forme d’une carte de France, la présence de librairies. On s’aperçoit que certains territoires en sont totalement dépourvus, notamment dans le monde rural, mais pas uniquement.
Fort de ce premier constat, nous rencontrons les présidents des départements et les maires. Nous leur proposons de réfléchir ensemble à la manière de créer des librairies tiers lieux. L’idée est de pouvoir articuler plusieurs finalités autour d’une librairie. Ce peut être un café, un cinéma, un magasin alimentaire, des lieux de rencontre où les gens peuvent se retrouver. Le cas échéant, l’association se charge également de rechercher des porteurs de projets. En vendant à la fois des consommations, des livres et des objets ayant une bonne marge nette (cadeaux, petits objets, gadgets), ce nouveau commerce devient rapidement rentable et se transforme en un lieu de vie.
Enfin, nous proposons aux libraires des formations complémentaires, sur la gestion et la comptabilité notamment. Nous les aidons également à travailler davantage en réseau. Cela peut permettre de multiplier les événements et les rencontres avec les écrivains en mutualisant les coûts liés à l’organisation. Créer des rendez-vous réguliers avec ses lecteurs est en effet très important.
PdE- Votre intervention repose-t-elle uniquement sur des financements publics ?
FL-Bien au contraire, la raison d’être de l’association consiste à encourager et à aller chercher l’intervention du privé. En France, il est vrai que face à un problème social, et la disparition du livre en fait partie, on se tourne par réflexe vers l’argent public. S’il est parfois indispensable, c’est un réflexe qu’il faut modifier. Pour un pays qui est écrasé par la fiscalité publique, il faut trouver d’autres solutions et poser la question autrement. Comment des entreprises peuvent trouver un intérêt à soutenir un espace culturel ? Est-ce positif pour leur image ? La présence d’un lieu culturel peut-il faciliter les démarches de recrutement ?etc. Très concrètement, nous proposons à des entreprises, de territoires donnés, de prendre le statut de libraires angel, c’est-à-dire de patronner par le mécénat, une librairie tiers-lieux implantée dans un lieu précis. Il s’agit là encore d’aider à la création de ces librairies-Tiers-lieux, ou à la transformation de librairies existantes.
PdE- Est-il aussi question dans ces librairies tiers-lieux, d’inclusion et de numérique ?
FL-Notre démarche ne vient pas en opposition au numérique, bien au contraire. Du reste, ce dernier va continuer à progresser durablement et tranquillement. La librairie à laquelle nous pensons, c’est une librairie dans laquelle on développe aussi l’initiation au numérique et la formation aux nouvelles technologies.
PdE- Un autre axe concerne l’aménagement de ces nouveaux lieux. Quel est le but recherché ?
FL- Dans mon expérience de maire, j’ai pu, à de nombreuses reprises, réaliser l’importance, quel que soit le projet, d’avoir le souci du beau. L’architecture peut contribuer au bonheur de la lecture.
Aussi, afin de proposer une réflexion sur le design de ces nouvelles librairies, l’association l’Athénée Le Livre Vivant est en relation avec l’Ecole d’architecture d’intérieure et de design de Camondo, Grâce à ce partenariat, nous travaillons à la mise en place d’ateliers pour la conception de nouvelles librairies tiers-lieux.
PdE- Le législateur doit-il selon vous se pencher sur cette question ?
FL- C’est en effet un véritable enjeu et les choses sont en train de changer. Grâce à la mobilisation de la Sénatrice Laure Darcos et de la Députée Constance Le Grip, une proposition de loi en faveur du maintien et du développement des librairies a été déposée conjointement et simultanément à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous espérons que cette proposition devienne rapidement un projet de loi.
Leur travail intègre par exemple la question essentielle des baux commerciaux. L’idée est de donner la possibilité aux maires d’intervenir davantage sur le marché immobilier. Très concrètement, les collectivités locales pourraient attribuer des subventions aux librairies à concurrence de 30% de leur chiffre d’affaires. Ces subventions seraient compensées par l’Etat.
L’association Athénée-Le Livre Vivant, soutient toutes les démarches qui permettront que les élus se sentent moins seuls face à cette problématique. Ils peuvent parfois avoir l’impression que créer et pérenniser une libraire n’est pas prioritaire. Or je crois, bien au contraire, que le livre et le contact avec le libraire est un élément d’humanisme très fort.
*Inventaire Développement est une entreprise qui a pour objet d’accompagner les cadres ou les leaders en fin de carrière à se reconvertir en créant des associations loi de 1901, appelées Athénées, et à devenir ainsi manager de leur propre projet.