La France est-elle prête à dématérialiser ses services publics ?
Pas de dématérialisation sans inclusion numérique ? Le Défenseur des droits a rendu public un rapport baptisé « Dématérialisation et inégalité d’accès aux services publiques ». Sur plus de 70 pages, Jacques Toubon alerte, grâce à de nombreux exemples, sur les fractures à venir pour notre société.
Dématérialisation en « marche-forcée » ?
D’ici 2022, l’accès à tous les services publics se fera via le numérique. Agilité, gain de temps, efficacité, voilà autant d’avantages espérés grâce à cette transformation en cours. Pour autant, dans un rapport publié jeudi dernier, Jacques Toubon met en garde contre une aggravation inévitable de la fracture numérique. Le défenseur des Droits regrette en effet que ce processus se fasse à « marche forcée ». Pour lui, il faut mieux prendre en compte les difficultés « bien réelles d’une partie de la population et des besoins spécifiques de certaines catégories d’usagers ».
Autre risque, une dé-responsabilisation des pouvoirs publics qui se traduira par le besoin croissant de recourir « à la sphère (…) pour compenser les défaillances du service public ».
La dématérialisation, source d’amélioration et/ou de fracture ?
Jacques Toubon n’est pas entièrement critique sur le processus de dématérialisation en cours. Pour preuves, il souligne également, grâce à plusieurs exemples, de vrais bénéfices pour la société. Ainsi, la dématérialisation du revenu de solidarité active a permis une hausse de 2% des bénéficiaires.
Autre exemple, la dématérialisation de la prime d’activité est un facteur d’amélioration de l’accès à cette prestation « avec un taux de recours élevée, estimé à 73% et dépassant ainsi de 23% les projections initiales ». Enfin, la création du « coffre-fort numérique » est une réponse parfaitement adaptée aux problématiques des personnes sans-abris.
Le risque d’une amplification de la fracture territoriale
Tout l’intérêt d’un tel rapport est de rappeler quelques principes de notre république, parmi lesquels celui de continuité du service public, d’égalité devant ce dernier et enfin, celui dit de mutabilité. Et c’est bien là que réside le problème de cette accélération de la dématérialisation : ce n’est pas aux administrés de s’adapter mais bel et bien à l’administration. Dès lors, comment passer au tout numérique quand 18 % des français n’utilisent jamais d’outils numériques et disent se retrouver rapidement bloqués.
Le défenseur des droits souligne également l’impact toujours aussi négatif du manque d’infrastructures réseaux dans certains territoires. Il précise par exemple que « dans les communes de moins de 1000 habitants plus d’un tiers des habitants n’ont pas accès à un internet de qualité. Cela représente près de 75% des communes de France et 15% de la population ». Dans les zones rurales, on estime à 7 % soit 500.000 personnes, le nombre de français qui n’ont tout simplement pas accès à une connexion internet fixe. Pour répondre à ces enjeux, le Gouvernement, l’Agence du Numérique et les opérateurs travaillent ensemble dans la réalisation du plan France Très Haut Débit. Ce dernier vise à couvrir l’intégralité du territoire en très haut débit d’ici 2022. Concrètement, il mobilise un investissement de 20 milliards d’euros en dix ans, dont 3,3 milliards d’euros de l’État.
Comment mieux accompagner les citoyens face à ce changement ?
Jacques Toubon note également dans son rapport que « des efforts ont été réalisés dans le but d’accompagner les usagers dans le processus de dématérialisation des services publics, ». Parmi les réponses concrètes apportées par les collectivités, on trouve par exemple la création de « point numériques » ou de maisons de services au public. Le déploiement des chèques APTIC à large échelle, pour rapprocher les publics en difficulté des structures, est une très bonne chose.
Néanmoins « ils restent encore insuffisants par rapport au besoin d’accompagnement ». Pour le défenseur des droits, « la dématérialisation des services publics ne doit pas être pensée indépendamment des autres canaux d’accès aux services publics. Il est donc nécessaire de repenser par exemple les services téléphoniques ».